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Deux jeunes à l’épreuve de la discrimination sexuelle en Haïti

Théodore BRONSON (21 ans) et Clarisse ALTIDOR (16 ans) sont 2 jeunes débatteurs du club de débat de Christ-Roi, membre du réseau de clubs de FOKAL. Bronson est étudiant en 2eannée de Droit à l’Université d’Etat d’Haïti, et Clarisse est en seconde au lycée technique Elie Dubois à Port-au-Prince.

Mon collègue Yvens Rumbold, responsable de communication à FOKAL, et moi-même les avons interrogés, le 27 février dernier, pour connaitre leurs réactions après la causerie sur la discrimination sexuelle (1) en Haïti effectuée par la sociologue et militante féministe Danièle Magloire, le 31 janvier 2015, à laquelle ils ont assisté avec une quarantaine de jeunes de ce club, au centre culturel Pyepoudre (Bourdon).

Bronson dit avoir participé à cette conférence (2) parce que le sujet est « (…) un fait de société dans laquelle nous vivons. Il y a une très forte tendance à la discrimination envers les femmes. […] Or, on ne les reconnait pas à leur juste valeur. Les femmes ne sont pas appréciées pour ce qu’elles font. C’est la raison de ma présence à la conférence ». Clarisse, par contre, y a justifié sa présence par son désir de « …mieux élargir mes connaissances à ce sujet afin de voir, de comprendre pourquoi et comment les femmes sont aussi rabaissées ». 

Ils ont été plutôt bien servis, puisque Clarisse a avoué avoir « bien cerné le sujet » tandis  que Bronson, lui, croit que « cela va porter les hommes, ou du moins quelques-uns, à prendre conscience d’eux-mêmes,…et les filles à entreprendre certains changements chez elles, à se voir différemment ».

Les 2 interviewés face à l’expérience du sexisme 

Bronson a reconnu n’avoir jamais eu d’attitudes sexistes envers les filles, « en tout cas pas consciemment », s’empressa t-il de corriger. Clarisse tenta de se rappeler: «  quand j’étais plus petite, s’il y  a quelque chose de vraiment lourd à soulever, s’il y a plusieurs filles et un garçon, je dis : ‘C’est toi qui es l’homme ici, tu dois…’ ». Elle a éclaté de rire sans finir sa phrase, comme pour signifier que cette anecdote amusante est loin d’illustrer une attitude sexiste. 

Mais lorsqu’un garçon a une attitude sexiste envers elle, Clarisse garde son calme. « Mais le plus souvent, je me contente de ne pas réagir au même moment, et dans le futur  je pose une action de façon à ce que la personne en elle-même (…) puisse vraiment regarder et dire qu’il a fait fausse route.»

L’un et l’autre regrettent que ce sujet ne soit pas abordé dans les écoles avec les jeunes. Si pour Bronson, un professeur à sa faculté de droit « …a l’habitude de comparer les différentes sociétés, de prendre en exemple la société malienne où la discrimination sexuelle est beaucoup plus élevée par rapport à d’autres pays », pour Clarisse « A mon école, on sait en parler brièvement si on entre dans un sujet qui le nécessite, mais on ne prend pas une journée pour en parler ».

Mais toutefois, Clarisse a déjà pris les devants en débattant du sujet avec ses amies au lycée, dès le lundi matin après la causerie : « Elles ont donné leurs points de vue, et j’ai vu vraiment que c’est le fait que la mentalité ancienne existe qu’elles pensent vraiment qu’elles sont inférieures. Mais si elles avaient vraiment des personnes comme Danièle Magloire qui parlaient de ça avec elles,  elles sauraient qu’elles peuvent occuper n’importe quelle place dans la société. »

Les enseignements de la conférence de Danièle Magloire

Toutefois, nos 2 jeunes débatteurs disent avoir beaucoup appris de Danièle Magloire. Bronson dit apprendre qu’il y a beaucoup de choses qui ne sont pas naturelles dans la société. « C’est nous qui les créons. Par exemple, la définition que nous donnons au mot « différence » n’est pas en vérité la bonne. « Différence » signifie quelque chose qui n’est pas semblable, mais ne veut pas dire « inégalité ». Donc sur ce point-là, les hommes, plus particulièrement dans notre société, ont l’habitude de prendre la différence comme un élément pour asseoir leur supériorité. Donc, à partir de là, ils pensent [à tort] qu’ils sont supérieurs à la femme. »

Clarisse ajouta comme Bronson, que « c’est à cause de cette petite différence – biologique – qu’ont les hommes et les femmes que cela donne naissance à l’inégalité et qui ensuite entraine la discrimination. […] Parce que les hommes et les femmes sont biologiquement parlant différents, les hommes prennent un malin plaisir à rabaisser les femmes. Je pense qu’avec cette causerie, j’ai pris conscience en commençant par poser des actions et à penser autrement de façon à lever les femmes dans la société. »

De la volonté et des institutions : 2 piliers du changement

A la question de savoir s’ils ont le sentiment que cela est en train de changer dans la société haïtienne, Bronson a répondu tout de go : « Pour qu’on observe véritablement un changement dans la société, il faut qu’il y  ait des lois et des règles, et les sanctions qui vont avec lorsqu’on les enfreint. Avec le ministère des femmes, qui est là maintenant comme recours pour les femmes qui sont victimes, donc je pense que sur le point de la violence [NDR : exercée sur les femmes], cela a un peu diminué. Avant qu’un homme frappe une femme, il doit réfléchir d’abord à ce que la femme va faire. Est-ce qu’on ne va pas venir m’arrêter ? Il y a quand même un changement sur ce point.»

Clarisse a versé dans le même sens que son camarade : « Il y a des forces qui poussent au changement dans ce domaine-là, comme le ministère de la Condition féminine qui est une instance qui est là pour ça. ». Mais certaines pesanteurs sociales persistantes et réflexes rétrogrades des hommes comme des femmes douchent leurs espoirs de changement. 

 « Malheureusement, il y a des femmes qui trop souvent, par peur, ne veulent pas porter plainte quand elles sont agressées. Ceci est un grand problème dans le pays. Si on ne veut plus qu’il y ait de la discrimination, il faut qu’il y ait la volonté. C’est ce qu’il faut vraiment », tempêta Clarisse. .. Jusqu’à présent encore, elle voit encore des filles victimes de discrimination. « […] Dans des écoles congréganistes, je sais que si une fille vit dans un quartier comme Cité soleil, il sera difficile pour elle d’être acceptée dans cette école-là. »

Bronson n’oublie pas que « Nous vivons dans une société pauvre qui rend les femmes vulnérables. Imaginez-vous une femme qui n’a pas les moyens pour vivre et qui est à la recherche d’un travail. Si cette femme n’a pas un haut niveau de moralité, elle pourrait succomber aux propositions indécentes qu’un patron lui proposerait pour lui donner ce travail. »

Faire reculer les préjugés : le combat des hommes

C’est aux hommes qu’incombe la responsabilité de mener ce combat, insinua Clarisse. « Je pense que la première chose qu’ils doivent faire, c’est d’arrêter de penser qu’ils sont supérieurs aux femmes. D’ailleurs, ils ne le sont pas. On est tous humains. Et tous les humais sont égaux… en droit et en dignité, selon l’article 1 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme  ». Elle s’enflamma. « Ils doivent commencer à croire et à voir réellement  qu’on a comme eux la capacité de réfléchir et d’avoir un poste important comme les autres. Donc, ils doivent commencer vraiment à voir que les femmes sont humaines comme eux. » 

Ce que n’a pas renié son camarade de club qui redoute tout de même que cela ne va pas être facile « puisque c’est ancré dans notre mentalité. Vous imaginez quelque chose que vous avez apprise depuis votre prime enfance. On vous a appris à distinguer ce qui est fait pour les femmes de ce qui est fait pour les garçons. Tel comportement est un comportement de femme, tel autre est un comportement d’homme. Donc nous avons grandi avec cette mentalité. Pour arriver à la changer, cela va demander beaucoup de volonté. »

Changer les mentalités : le combat de la jeunesse

Toutefois, Bronson croit qu’il est capable, de manière personnelle, d’agir au quotidien pour éviter de discriminer  les filles : « Je suis élevé dans une famille monoparentale. C’est ma mère seulement qui m’a élevé. Donc, je suis plus enclin à apprécier la femme en elle-même, à la voir à sa juste valeur. Tenant compte de tous les efforts que ma mère a consentis pour nous élever, cela me porte à respecter ma mère en particulier, et les femmes en général. Compte tenu de leur courage, cela ne va pas être difficile pour moi de considérer les femmes telles qu’elles sont vraiment.»

Par contre, Clarisse a déjà commencé à livrer bataille contre la discrimination sexuelle. « Pour moi, être écolière, c’est déjà un premier pas. Parce que de là c’est le meilleur chemin à prendre pour faire voir aux autres femmes qu’elles ne sont pas inférieures, et que je puisse dans le futur devenir une grande économiste ou politicienne, afin d’être un modèle pour toutes les femmes qui pensent que tel métier est fait pour les hommes, et les taches ménagères pour les femmes. »

Que l’Etat fasse le reste…

L’action positive engagée par l’Exécutif et le parlement haïtiens en faveur des femmes, dont avait parlé Danièle Magloire dans la conférence, est la mesure-phare qui peut contribuer grandement à faire reculer la discrimination sexuelle, à défaut de la terrasser définitivement, et à atteindre l’égalité de genre. 

Bronson ne s’embarrassa pas d’hésitation. « Bien entendu, je suis pour l’action positive, parce que cela va apporter une sorte d’équilibre, (…) beaucoup de progrès dans la société, un changement dans les mentalités, puisque, selon moi, beaucoup de problèmes qui se posent, par exemple les violences faites aux femmes, sont dus par le fait que l’homme se croit supérieur à la femme. Une fois que la femme peut jouir des mêmes privilèges que l’homme, je pense que tout ça va diminuer, et j’espère qu’au fil du temps cela va disparaitre, être éradiqué totalement.»

Clarisse emboita les propos de son camarade : « Avec une mesure prise de manière radicale dans un pays – elle parle de l’action positive –, la femme verra bien que [la discrimination] est une barbarie. Elle verra bien qu’il y a des dispositions qui sont mises en place afin qu’elles puissent vraiment s’élargir de façon honnête. Et elles pourront vraiment être égales aux hommes.»

Il faut toujours raison garder…

Mais, ni l’un ni l’autre ne sont prêts à voter pour une femme, parce qu’elle est tout simplement une femme. Si pour Bronson, « cela va dépendre de la capacité de la personne », pour Clarisse cette précision a son poids: « En tant que femme, je suis pour qu’une femme devienne candidate à la présidence. Parce qu’elle est femme, je ne vais pas voter pour elle. Cela dépend du programme qu’elle veut entreprendre. Si je ne me retrouve pas dans son programme, je peux catégoriquement voter pour celui avec lequel je me sens mieux.» 

Et Clarisse de conclure en ces termes : « (…) je vais commencer par prendre conscience moi-même et inviter les autres à prendre conscience, et à faire voir à tout le monde que le féminisme n’est pas un combat contre les hommes, mais un combat pour les femmes.»

C’est LA raison du combat des hommes contre la discrimination sexuelle envers le sexe opposé. C’est le combat de raison de toutes les femmes et filles de ce pays et du monde entier.

Jean-Gérard Anis

Coordonnateur des Programmes Initiative Jeunes

FOKAL

N.B. : Pour lire l’intégralité de l’interview, cliquez sur ce lien http://vaguedufutur.blogspot.com/2015/03/2-jeunes-du-club-de-christ-roi.html

  1. La discrimination sexuelle est l’un des thèmes traités par les jeunes lors des consultations en mai 2014 pour l’élaboration du Livre blanc de la jeunesse de FOKAL.
  2. ) Vous pouvez lire le compte-rendu de la causerie publié en février dernier, en cliquant sur ce lien http://vaguedufutur.blogspot.com/2015/02/la-discrimination-positive-en-haiti.html ou bien rendez-vous dans ‘Nouvèl Fokal’ du mercredi 11 février 2015, sur le site de la fondation , www.fokal.org 

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