Le concours de plaidoirie du BDHH, un succès confirmé

DSC 0668La deuxième édition du concours de plaidoirie organisé par le Bureau des Droits Humains en Haiti (BDHH) a tenu toutes ses promesses. La cinquantaine de participants(e)s à cette compétition dépassant le seuil de l’édition précédente, l’intensité et la qualité des joutes oratoires entre les compétiteurs, les présences de diplomates, membres du Barreau de Port-au-Prince et autres importantes personnalités du pays, sans oublier le public impressionnant qui a assisté à finale (salle comble dans le prétoire de la Cour de Cassation au Camp-de-Mars), ont démontré le caractère éclatant de ce concours qui s’impose désormais comme incontournable.

A l’initiative de Pauline Le Carpentier, coordonnatrice du BDHH (qui fait de la lutte contre la détention préventive prolongée le pivot de son travail) et de Maître Jacques Lethan, ce concours de plaidoirie ouvert uniquement aux étudiant(e) finissant(e)s en droit des différentes facultés et écoles de droit du pays a pour objectif principal d’intéresser ces futurs avocats ou juristes, promis aux différents barreaux du pays, aux problématiques des droits humains.

Le concours, un véritable marathon

Après une phase éliminatoire où 34 candidat(e)s ont été sélectionnés sur les résultats d’une dissertation écrite qui les invitait à soutenir des thèses pour ou contre les sujets suivants : le droit d’ingérence, l’immunité parlementaire, les quotas de femmes, le droit de grève dans les hôpitaux, la responsabilité de l’Etat lors des catastrophes naturelles, j’ai eu le privilège, en tant que représentant de FOKAL, partenaire du concours avec l’université Quisqueya, d’assister aux confrontations en quarts de finale entre des jeunes débatteurs.

Les quarts de finale entre 8 candidat(e)s qui ont eu lieu à l’université Quisqueya, un des parrains du concours avec les ambassades du Canada et de la Suisse, avaient déjà montré la mesure des aptitudes remarquables des 4 débatteurs qui se sont hissés aux demi-finales, lesquelles ont eu lieu dans l’imposante salle d’audience de la Cour de Cassation, située au Champ de Mars, le vendredi 26 janvier 2017.

En présence d’un jury composé des avocats Jacques Lethan, Monferrier Dorval, Frantz Poteau, Jules Baptiste, et de la juriste belge Stéphanie Rodriguez, et des personnalités de marque telles que le président de la cours de Cassation, Maitre Jules Cantave, de l’ambassadeurs de Suisse en Haïti, de la présidente et de la directrice exécutive de Fokal. Trois sujets étaient en débat : la justice privée et le recours à l’état d’urgence pour les demi-finales, la légitimité de la justice pénale internationale pour la grande finale.

Justice privée contre justice étatique, le duel entre médiation et coercition

Dans la première demi-finale, dont vous livrons un petit compte-rendu, Rosemina Perrin Noel, qui défend la justice privée a posé le postulat suivant : en raison de nombreux conflits dans la société, on doit trouver des moyens alternatifs pour les résoudre. Ces conflits sont soit matrimoniaux (entre conjoints), prudhommaux (entre employeur et salarié), sociaux (entre entreprise et syndicat). La justice privée est une forme de justice alternative qui repose sur la médiation, la conciliation, l’arbitrage.

Rosemina précise qu’elle est un mécanisme de négociation. Elle cherche à pacifier au lieu d’opposer, à résoudre plutôt qu’à sanctionner ou punir. L’objet de la justice privée est la pacification des relations entre les parties. Une justice à l’amiable donc, sans avoir recours aux tribunaux d’Etat.

La justice privée est, selon elle, un moyen alternatif efficace tout indiqué pour résoudre les conflits parce que 1) elle permet d’éviter une surcharge de travail aux tribunaux d’Etat qui croulent sous les affaires ; 2) elle est une justice à moindres coûts, humain et financier. Généralement, ces genres de conflit cités sont résolus à la Chambre de conciliation et d’arbitrage d’Haïti.

Joassaint James Peterson s’est opposé vigoureusement à la justice privée. Pour lui, la justice est fondamentale dans une société et doit être obligatoirement rendue par une autorité étatique. La justice privée a deux acceptions : elle est une alternative certes à la justice étatique, mais il est aussi le fait de se faire justice soi-même, ce qu’il n’a pas manqué de souligner pour le jury.

Si l’on considère que la justice privée est meilleure, à quoi sert donc la justice étatique ? Faut-il privatiser la justice étatique ? Peterson affirme catégoriquement que la justice privée ne doit pas se substituer à la justice étatique, qui selon lui est incontournable, car elle a une force coercitive pour faire exécuter les décisions de justice. Elle doit être la norme et suivie par tous et partout.

Rosemina lui a rétorqué qu’on ne peut pas rejeter la justice privée pour ses limites et faiblesses, qu’on n’a pas à l’opposer à la justice étatique puisque les 2 combattent l’injustice. Cependant, la justice privée est supérieure car elle cherche l’entente avant tout, à résoudre un problème au préalable avant qu’il dégénère en conflit, au bénéfice de toutes les parties. Cela a été le point gagnant de ce match.

La justice internationale en procès

DSC 0885La grande finale de concours de plaidoirie s’est jouée entre Rosemina Perrin Noel et Aladin Mackenson, les 2 gagnants des demi-finales de la journée. Le duel s’est noué sur la légitimité de la justice pénale internationale. Un sujet qui fait des remous en Afrique depuis l’année dernière.

Rosemina affirma, au début de son plaidoyer, que les tribunaux pénaux internationaux pour la Yougoslavie (TPIY), pour le Rwanda (TPIR), la Cour pénale internationale (CPI) entre autres, sont des moyens productifs pour lutter contre l’impunité et les injustices sur les populations civiles dans le monde. Selon elle, la justice pénale internationale ancre sa légitimité dans ces 2 pouvoirs d’influence :

Premièrement, elle prévient le retour des tragédies dans certaines zones de la planète (génocide, massacres, viols de masse, crimes de guerre…), punit les auteurs des crimes contre l’humanité, et offre un régime de protection de droits aux non-combattants et aux victimes.

Deuxièmement, son indépendance garantit une justice non partisane, juste et équitable, capable de fermer les cicatrices conduisant à la paix réelle. « Il ne peut y avoir de paix sans justice et respect des droits humains ».

Aladin Mackenson, son adversaire réfute vigoureusement cette vision de la justice internationale. Selon lui, la justice repose sur la conformité à un principe supérieur considéré comme juste. Or la justice pénale internationale viole et bafoue les principes généraux du droit puisqu’elle a un double degré de juridiction, ne donne pas de droit à un recours à l’accusé (une entorse au droit de se défendre) ; et elle ne garantit pas l’impartialité du tribunal.

De plus, les Etats les plus puissants du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Russie, Chine) ne reconnaissent pas la CPI, bien que ce soit eux qui l’ont créée. C’est pour cette raison que la CPI se heurte à l’hostilité de plusieurs Etats africains de l’Union africaine (UA) qui ont boycotté des mandats d’arrêts qu’elle a lancés contre Omar El Béchir (Soudan) et Khadafi (Lybie).

La CPI est une vision de l’Occident, fondée sur le système de justice anglo-saxon. C’est une justice opportuniste, qui ferme les yeux sur les guerres déclenchées par les Occidentaux en Lybie, au Yémen, en Irak. C’est une justice médiatique dont les chaines américaine CNN et européenne Euronews sont les procureurs.

Face à la charge offensive de Mackenson, Rosemina a argué que nous devons justement faire en sorte que les Etats comprennent la nécessité de la CPI, car ce sont les victimes qui saisissent la CPI. Elle interpella l’auditoire : « Doit-on rester indifférent aux crimes commis, aux barbaries ? » Puis elle conclut son argumentaire en rappelant que la CPI est légitime parce qu’elle a son fondement dans une convention internationale ratifiée par des Etats souverains.

Son adversaire rejeta cet argument en rappelant que la CPI est incapable de juger les crimes des pays puissants, ce en quoi elle est partiale. Elle ne considère pas la présomption d’innocence pour les inculpés. Elle s’appuie sur les seules enquêtes d’ONGs, bras inquisiteurs des pays qui la financent.

Enfin, Aladin a terminé son réquisitoire par cette affirmation péremptoire: « La justice pénale internationale est une justice des vainqueurs, une justice pour les forts, mais pas pour les faibles ».

Résultats et enseignements du concours

Aladin Mackenson a été sacré « Champion de la 2ème édition du concours », au verdict final du jury. Certificats et de multiples primes ont été donnés au vainqueur et aux 3 autres débatteurs du dernier cercle du tournoi, sous les applaudissements nourris de l’assistance et à la satisfaction des partenaires de l’événement et des organisateurs.

Le concours a été une épreuve difficile pour les compétiteurs, épuisant les nerfs, même les meilleures volontés, au point de provoquer le désistement de l’un des concurrents empêchant par conséquent la tenue de la petite finale pour la 3e place entre les 2 perdants des demi-finales. Bien des points mériteraient d’être améliorés tels que par exemple d’accorder une plus grande importance aux réfutations des arguments.

Cependant, l’effet collatéral de cette compétition est qu’indéniablement elle a permis de faire émerger de véritables talents du droit, rompus à l’exercice de l’argumentation et du plaidoyer, et qui sont déjà remarquables dans l’art de la plaidoirie, arme de combat par excellence des professionnels du droit et de la justice.

 

Jean-Gérard Anis

Coordonnateur du Programme initiative Jeunes

FOKAL

 

 

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