In memoriam Michel-Philippe Lerebours

LerebouorsLa disparition de Michel-Philippe Lerebours clôt une période importante de la vie culturelle haïtienne, celle à laquelle il a participé en qualité d’acteur mais aussi de témoin d’une surprenante éclosion d’artistes des arts visuels qui nous offrent aujourd’hui encore des œuvres d’une étonnante vitalité. Il ne s’est pas remis de l’effondrement du Musée d’Art Haïtien, lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010, où il a été le dernier directeur, et je ne sais si au cours des derniers jours de sa vie, il a appris l’assaut des gangs armés en mars de cette année, sur le local du Centre d’Art à la rue Roy. Dans notre pays où l’art est le langage qui s’invente continuellement, il est à souhaiter que les nouvelles générations d’artistes sachent trouver d’autres lieux, d’autres espaces pour donner à voir les multiples expressions de leur créativité. 

Michel-Philippe Lerebours a marqué son époque. Homme de culture, il était Docteur en histoire de l’art et en esthétique, archéologue, auteur dramatique, professeur, conservateur de musée, commissaire d’expositions. La publication en 1989 de sa thèse de doctorat et de ses recherches subséquentes sous le titre Haïti et ses peintres, de 1804 à 1980, souffrances et espoir d’un peuple, restera l’œuvre de référence à partir de laquelle s’est constituée une relève dont le maître a dû être fier.

Son intérêt pour le pays, pour son histoire, le conduira à revisiter les habitations coloniales, celles de la plaine du Cul-de-sac qui ont survécu au temps et qui nous disent cette part de notre passé inscrit dans les vieilles pierres des aqueducs et des moulins à canne. Il en sortira une publication, L’habitation sucrière dominguoise et les vestiges d’habitations sucrières dans la région de Port-au-Prince (2006), qu’il dédie « à la jeunesse haïtienne dans l’espoir qu’elle gardera la mémoire. » Il y eut aussi ses œuvres théâtrales, Le roi, Temps mort (1975), et plus tard, Les circoncis de la Saint-Jean (1996), prix du ministère de la Coopération française.

J’ai eu l’occasion de collaborer avec Michel-Philippe Lerebours à plusieurs reprises. Lors d’expositions au Musée d’Art Haïtien, particulièrement celle organisée par Carlo A. Célius qui mettait en scène des artistes haïtiens et des artistes congolais, à laquelle il avait voulu associer FOKAL. Après les troubles politiques de 2004, nous avons, avec la Fondation Culture Création et le Musée lancé « l’initiative pour la dynamisation du secteur culturel ». Il s’agissait de dresser un Cahier des charges de toutes les composantes du secteur et de le faire parvenir aux institutions publiques et privées concernées pour que des décisions en découlent. Si l’exercice fut passionnant, nos démarches sont restées vaines.

L’année suivante, sur recommandation de Michel-Philippe Lerebours, le ministère de la Culture me nomma membre d’une commission sous sa direction, pour élaborer le programme de restructuration de l’École nationale des arts (ENARTS) dont il avait été le Directeur quelques années auparavant. Là encore l’expérience fut fort intéressante. Jour après jour nous nous sommes réunis, avons travaillé avec des artistes en art plastique, théâtre, musique, danse, cinéma, etc., pour tenter de faire de l’ENARTS une vraie école d’art.  Comme pour le Cahier des charges, nos propositions n’ont pas eu de suite.

En 2009, Michel-Philippe Lerebours lance avec le Centre d’Art « L’année Hector Hyppolite », et c’est sur ses recommandations et celles de Francine Murat, la directrice émérite du Centre d’Art de l’époque, que Ludovic Booz a sculpté un très beau buste de cet immense artiste des années 1940-1950. Hyppolite semble aujourd’hui perdu sur la placette où il a été posé, et ceci est regrettable, mais il méritait bien l’hommage qui lui a été rendu par ces institutions et leurs artistes.

J’ai vu Michel-Philippe Lerebours pour la dernière fois en février 2017. Il était venu au Centre d’Art assister à la conférence-causerie que j’avais été invitée à présenter sur la vie et l’œuvre du plasticien Patrick Vilaire, en compagnie de l’artiste. Michel-Philippe Lerebours était rentré pour un court séjour et s’apprêtait à repartir. L’échange que nous avons eu ce soir-là a été l’occasion pour moi de lui rappeler combien j’avais apprécié le cours d’esthétique et d’histoire de l’art qu’il donnait à l’Institut français d’Haïti et auquel je m’étais inscrite. Il m’avait confié à la fin du cours un paquet de notes qu’il avait conservé de ses propres cours à la Sorbonne. Un bel héritage que je garde encore. Je relis souvent mes notes sur l’idée du beau chez Platon, la définition de l’art chez Bergson et les impératifs catégoriques de Kant. Et de ces définitions toutes philosophiques, les explications sur la vie et les œuvres de Castera Bazile, Wilson Bigaud, Rigaud Benoit, Pétion Savain, Luce Turnier, Maurice Borno, Geo Ramponeau, Philomé Obin, Édouard Duval-Carrié, et tant d’autres. Éclairage savant pour mieux saisir les multiples dimensions de l’art dans ses conceptions et ses accomplissements.

Le Centre d’Art salue la mémoire de Michel-Philippe Lerebours. Respect !

Michèle Duvivier Pierre-Louis
Présidente du Conseil d’administration
Novembre 2025

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