A quoi ça sert, un club de débat aujourd’hui ?

SITE FOKALPar Ricardo Nicolas

Résumé
Cet article explore le rôle fondamental des clubs de débat en tant qu’espaces éducatifs alternatifs et moteurs de transformation sociale, à partir de mon expérience personnelle au sein du Programme Initiative Jeunes (PIJ) de la FOKAL. Bien plus que de simples activités parascolaires, les clubs de débat sont des lieux d’apprentissage critique, de construction de soi et d’éveil à la citoyenneté. Ils forment des jeunes capables de penser le monde, d’y prendre part activement, et de contribuer au renforcement du tissu démocratique local.

Introduction
Le titre de cet article -plaidoyer pour les clubs de débat, s’inspire de la célèbre chanson À quoi ça sert l’amour ? d’Édith Piaf et Théo Sarapo. Derrière cette question poétique et existentielle – peut-on vivre sans aimer ? – se cache une interrogation similaire : à quoi bon débattre? Dans une société contemporaine marquée par le brouillage des repères, le relativisme généralisé, et la crise du dialogue, le développement de la pensée critique apparaît comme une urgence éducative.

À l’heure de la postmodernité liquide et de l’accélération numérique, les clubs de débat offrent un antidote à l’indifférence et à la pensée paresseuse. Ils constituent des espaces singuliers d’émancipation, où la jeunesse peut apprendre à penser, à s’exprimer, à écouter et à agir. Mon parcours dans le programme de débat de la FOKAL m’a convaincu que ces clubs sont des leviers de transformation personnelle et collective, de véritables laboratoires d’humanité.

Club débat Martissant SITE FOKAL NF 11 juin 20151. Le club de débat : une extension critique de la salle de classe
Le club de débat ne concurrence pas l’école ; il en prolonge plutôt les ambitions dans une logique d’éducation active. Alors que l’école privilégie souvent une transmission verticale et magistrale des savoirs, le débat les active dans un cadre horizontal, participatif, et concret. Il mobilise des compétences transversales rarement travaillées dans les programmes officiels : l’argumentation structurée, l’écoute critique, la recherche documentaire autonome, la prise de parole en public, ou encore la gestion du désaccord.

Dans cette perspective, le club de débat incarne pleinement les principes de la pédagogie critique : apprendre à questionner, à problématiser, à construire du sens ensemble. Certaines écoles haïtiennes, notamment dans la Grand’Anse, ont d’ailleurs intégré des séances de débat contradictoire dans les classes du secondaire rénové. Il serait souhaitable que cette initiative se généralise, avec un cadrage pédagogique clair, porté par une institution telle que FOKAL.

Club débat Martissant NF Jeudi 26 juin 2025 12. Un lieu d’émergence du leadership et de l’engagement
Le débat, bien qu’il prenne souvent la forme d’un jeu intellectuel, est un exercice de rigueur et de responsabilité. Il exige de la part du ou de la jeune une capacité à défendre une position sans en être forcément convaincu.e, à écouter pour répondre – et non pour réagir – et à comprendre les arguments contraires. Ce travail de distanciation critique forme un leadership intellectuel : lucide, éthique, et attentif aux nuances.

Les clubs de débat révèlent ainsi des profils de jeunes éclairé.e.s et engagés, soucieux de comprendre les “rumeurs du monde”, capables d’articuler pensée personnelle et action collective. Le club de débat de la BMC a façonné ma jeunesse, en m’enseignant la rigueur intellectuelle, la ponctualité, la probité, le respect de la parole donnée, et le sens du collectif. À ce titre, j’invite les animateurs et animatrices à assumer pleinement ce rôle de formateur, de modèle, et d’éveilleur d’intelligences, comme l’a été pour moi Jacob Gateau.

3. Apprendre la tolérance par le jeu dialectique
Le débat initie à une forme rare de tolérance intellectuelle. En apprenant à défendre des positions opposées selon les contextes, le.la jeune comprend que l’opinion n’est pas une essence, mais une construction. Ce déplacement de perspective développe l’empathie argumentative : la capacité à comprendre sans forcément adhérer.

Dans des sociétés fragmentées, souvent polarisées par des logiques identitaires, cet exercice de déplacement est crucial. Il permet de sortir du réflexe de disqualification, et d’entrer dans une écoute active, rationnelle, respectueuse. Le débat devient alors un entraînement à la démocratie au quotidien.

Pij Okap NF 5 juin 2025 24. Le club de débat : une fabrique de citoyenneté locale
Le débat n’éloigne pas les jeunes de leur réalité ; au contraire, il les y ancre plus profondément. En travaillant sur des sujets concrets, en identifiant les problématiques de 
leur milieu, les membres de club développent un sens aigu de la responsabilité civique. Le débat pousse naturellement à l’action.

De nombreux clubs du PIJ ont ainsi conduit des campagnes de sensibilisation et des plaidoyers locaux, à partir de diagnostics communautaires réalisés par les jeunes eux- mêmes. Le débat devient ici outil de mobilisation et d’initiative citoyenne. Le jeune ne se contente plus de penser en “citoyen du monde” : il agit comme acteur local du changement.

Pij Okap NF 5 juin 2025 35. L’animateur de club de débat : un leader communautaire
L’animateur ou animatrice de club de débat n’est pas un simple coordinateur logistique. Il ou elle est un pédagogue, un accompagnateur, un modèle de comportement et de pensée. Dans des environnements parfois marqués par l’absence de repères structurants, la figure de l’animateur prend une dimension capitale.

Ce rôle demande un engagement éthique fort : ponctualité, impartialité, exigence intellectuelle, respect mutuel. Il s’agit d’incarner les valeurs que le débat prétend enseigner. L’animateur devient alors un leader communautaire, en ce qu’il inspire, soutient et cadre les jeunes dans leur développement personnel et collectif.

Plus encore, il ou elle peut être ce passeur de relais intergénérationnel, celui ou celle qui relie la mémoire du programme à ses nouvelles incarnations. En ce sens, les clubs de débat sont aussi des espaces de transmission : de savoirs, de valeurs, d’expériences. Un club qui fonctionne, c’est d’abord un.e animateur.trice qui croit en ce qu’il fait, et qui prend sa mission à cœur.

Conclusion : une parole présente, pas seulement d’avenir
Les clubs de débat ne sont pas de simples lieux de divertissement intellectuel. Ils sont des ateliers de citoyenneté, d’émancipation et de transformation sociale. En donnant à la jeunesse les outils pour penser, s’exprimer, contester, construire, ces espaces contribuent à forger une parole présente : critique, responsable, engagée.

Dans un pays comme Haïti, où les défis sont nombreux, miser sur les clubs de débat revient à croire dans une jeunesse capable d’agir ici et maintenant, et non pas dans un hypothétique futur. Les clubs de débat ne forment pas seulement les leaders de demain ; ils façonnent des citoyens de plein exercice, aujourd’hui.

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