30 ans de FOKAL – Le Centre culturel

couverture fokal siteEn écrivant cette nouvelle rubrique, je ne sais toujours pas ce que les gangs armés ont fait comme dégâts à l’intérieur de notre immeuble de l’Avenue Christophe où ils sont rentrés par effraction au cours de la dernière semaine du mois de mars. Un choc ! Pas tant parce que je ne l’imaginais pas possible, je voyais bien l’avancée des gangs dans les quartiers de la capitale, mesurait l’incompétence, la complicité et la lâcheté des pouvoirs, imaginait la fuite des populations et la destruction qui s’en suivait ; mais à cause de cette question toujours sans réponse qui surgissait avec force à ce moment-là : pourquoi ? Autrement énoncé, pour quelles raisons ? Quel projet ? Et ce trou noir m’a happée pendant quelques jours.

bmcContrairement à ce que dit son nom, le quartier du Bas-peu-de-choses, plein d’histoire, d’anecdotes, de récits personnels, de « lieux de mémoire » et d’activités s’est peu à peu vidé, les habitant.es laissant derrière eux ruines et désolation. Un an auparavant, nous avions décidé de télétravailler pour éviter d’exposer le staff. Mais nous y allions de temps en temps, jusqu’à trois semaines avant l’assaut des gangs. Toujours stimulant de se retrouver dans cet espace de créativité et de convivialité.

C’est bien dans ce quartier de Port-au-Prince, au no. 143 de l’Avenue Christophe, qu’en 2001, nous avions décidé à FOKAL d’élire domicile. De construire un Centre culturel ouvert, accueillant, incarnant une idée du pays et des valeurs citoyennes. Un espace de travail, d’échanges, de débats, de conférences, de promotion de l’art et de la culture. Un lieu de savoir également car nous y avions logé la Bibliothèque Monique Calixte.

Les souvenirs se bousculent. Difficile d’y mettre de l’ordre. Comment nommer la multiplicité et la diversité des événements qui s’y sont tenus depuis 2003, année de l’inauguration des lieux ? Peut-être procéder par regroupements en courant le risque d’en oublier ? La mémoire peut bien faillir lorsqu’il s’agit de parcourir en esprit vingt ans d’histoire.

BITTC’est là qu’en 2003 a été lancé le Festival de théâtre quatre chemins qui a pu offrir en 2024 sa vingt-et-unième édition malgré les conditions actuelles d’insécurité. Accueillir les spectacles de Michèle Lemoine, Magalie Comeau Denis, Paula Clermont Péan, Syto Cavé, Daniel Marcelin, Nous Théâtre, des Brigades d’intervention théâtrale où se jouait une critique mordante de la société. Je vois encore l’émoi causé par celui qui mettait en scène une mariée toute en voile blanc courant dans l’Avenue Christophe pour échapper à son destin, devant les passants interloqués, se demandant si c’était vrai ou s’il s’agissait d’un jeu, courant eux-mêmes pour mieux comprendre.

JamesAyikodans ses danseurs et tambours magiques, la compagnie Jean René Delsoin, Jean-Aurel Maurice Kò an demokrasi, saisissantes chorégraphies. Et la musique ! Les quelques noms diront les concerts de chanteurs, chanteuses ou instrumentistes qui ont offert des récitals ou des représentations musicales dans notre salle polyvalente. Beethova Obas, Emmelyne Michel, Thurgot Théodat, Desandan, RAM, James Germain, Micheline Laudin Denis, Carine Margron, Amos Coulanges, Awozam, Melissa Lavaux, Nadège Tippenhauer, Pierre-Rigaud Chéry, Lody Auguste, Festival Ayiti Jazz, Musiques du monde, Tambours sacrés, Koral FOKAL…

Il y eut aussi les films, Arnold Antonin, Mario Delatour, Raoul Peck, Rachèle Magloire, Balufu Bakupa-Kanyinda, Anne Aghion, Patricia Benoît, suivis de discussion en présence des réalisateur.es.

Edwidge Danticat Patricia Benoit MDPL et James NoelLes voix multiples doivent encore résonner dans les murs, l’escalier, l’atrium, la tonnelle, les jardins, tous ces espaces qui ont vu défiler à FOKAL les écrivain.es de tous les continents pour participer aux deux conférences Étonnants voyageurs. Mais aussi les Marathons de lecture, les Biennales de l’art contemporain, les Rencontres québécoises, les Nuits amérindiennes, les Nuits blanches, les conférences du Fonds d’Alembert, celles sur la justice transitionnelle, le devoir de mémoire, Kanpe Pale, les Mardis Doc, Edwidge Danticat… Mais aussi celles de Felwine Sarr, Pap Ndiaye, le Roi du Dahomay, Laurent Gaudé, Lilian Thuram, la visite du Prix Nobel de littérature Wole Soyinka et la lecture, belle, émouvante de Jean-René Lemoine, Face à la mère.

dany lafferiere immortelIl y eut en ce jour du 12 décembre 2013, en pleine conférence de Dany Laferrière à laquelle je participais avec Rodney Saint-Eloi, à midi tapant, un coup de fil. Dany Laferrière est élu à l’Académie française. Le public fait surtout de jeunes exulte.

Juin 2016, FOKAL accueille deux conférences caraïbéennes, la 41ème conférence de Caribbean Studies Association (CSA), première en Haïti dont je fus la Présidente du comité local, et la 46ème conférence de Association of Caribbean University, Research and Institutional Libraries (ACURIL). Koral FOKAL a accueilli ces centaines de participant.es en chantant Solo Le Pido a Dios sur l’esplanade où une immense carte de la Caraïbe avait été peinte grâce aux talents du plasticien Patrick Vilaire. Angela Davis électrisera le public par son discours de clôture de CSA.

tire m kont 2L’atrium aussi fera la partie belle aux expositions, entre autres, la collection Unesco de tableaux de peintres haïtiens sur les droits humains offerte à FOKAL, accompagnée d’une toile-fresque gigantesque, longtemps exposée au haut de l’escalier, peinte par deux Haïtiens, une Sénégalaise et un Cubain. Mais aussi les deux expos de Killy, Anba Lakal et Kwadebosal. Les expositions thématiques sur les droits humains, la dictature des Duvalier, la Caraïbe, Haiti Littéraire, Où sont les femmes ?, Jean Métellus etc. qui attiraient des centaines d'écolier.es et de visiteur.es par jour. Les organisations féministes nous ont accompagnées dès le début, en participant à tous nos événements et en commémorant avec nous les dates symboliques du 25 novembre, 8 mars, 3 avril.

Un lieu vibrant de création ou à toute heure, un visiteur pourrait s’étonner d'entendre des échos de répétitions, des envolées littéraires, un saxophone répondant à un tambour, les clics des photographes en formation avec Paolo Woods, Nicola Lo Calzo ou Arnaud Robert, des exclamations et des éclats de rire.

jeu dechec geantEt le jardin arrière ou Boulon-Alix Fils-Aimé fabriquera les bancs et l’échiquier géant à même le sol afin que Gary Victor puisse jouer avec les enfants, et Pascale Monnin, l’arbre souvenir du séisme du 12 janvier 2010.

Je n’ai pas voulu revenir sur les moments de frayeur, décembre 2003, ou de stupeur, janvier 2010. En ces temps sombres, j’ai voulu jeter sur ces souvenirs un peu de lumière.

Je ne suis pas allée dans les archives pour retrouver les traces de ce passé récent. J’ai voulu faire acte de mémoire, chercher dans les méandres de l’esprit ce qui demeure encore vivant, les souvenirs auxquels je tiens qui ne s’oublient pas.

Nicole MagloireJ’ai une pensée toute spéciale pour ceux et celles qui nous ont quittés. Trois membres du conseil d’administration de FOKAL, le Père Hugo Trieste, Smarck Michel, Nicole Magloire ; les amis, artistes, écrivains : Georges Castera, Anthony Phelps, Franketienne, Jean-Claude Charles, Wilhems Édouard, Mireille Jérôme, Islande Baptiste, Bernard Diederich, Jean Dominique, Jean-Claude Bajeux, Sylvie Bajeux, Martino Pierre, Theodule Zilien, Manno Charlemagne, Claude Rosier, Etienne Tassin, Maryse Condé, Jean Marie Pierre, Mousson Pierre…

Je ne sais pas si la vie reprendra un jour à l’Avenue Christophe, je l’espère, mais ce sera autre chose, j’en suis sûre.

Michèle Duvivier Pierre-Louis
Présidente
23 avril 2025

 Colloque avec Etienne Tassin light

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