30 ans de FOKAL – Un retour sur son histoire
Tout a commencé…
… Par une visite
Celle à laquelle j’ai été conviée en février 1995 pour rencontrer George Soros. Je n’avais jamais entendu parler de lui et ne m’attendais pas à ce qui allait suivre et me donner l’occasion de m’engager dans une nouvelle expérience. Ce jour-là me fut confié le mandat de créer une fondation en Haïti au profit des organisations de la société civile. Au sortir d’une dictature elles peuvent s’auto-instituer comme force citoyenne et constituer un contre-pouvoir dans la lutte contre un retour possible du despotisme. Je n’ai pas tout de suite accepté. Il me fallait réfléchir et consulter.
… Par des interrogations
Avais-je raison de m’engager dans cette aventure ? Qu’allais-je pouvoir vraiment faire ? Les événements qui se sont succédés depuis le départ des Duvalier n’ont pas été à la hauteur des promesses de respect des droits fondamentaux et de dignité tant exprimées par de nombreux secteurs de la population, et la résistance aux changements a conduit à des coups d’État, et à la répression de ceux et celles qui avaient osé exprimer leur désir d’égalité politique en votant pour la première fois, et d’égalité tout court dans leur aspiration à une citoyenneté pleine et entière.
Un homme riche et puissant qui met ses millions à la disposition de personnes qu’il vient tout juste de rencontrer, n’y-a-t-il pas là quelque chose de suspect dont il faut se méfier ? Et plein d’autres questions continuaient de s’entrechoquer dans ma tête, alimentant mes réflexions et mes appréhensions. Il me fallait demander conseil.
… Par des encouragements
D’abord de Lorraine Mangonès. « Il faut y aller et montrer qu’on peut faire sérieux dans notre pays. Je suis avec toi. » Pendant le coup d’État de 1991, nous avions voulu créer une petite association pour encadrer les jeunes des quartiers populaires. L’occasion nous fut donnée de le faire avec un comité de jeunes du quartier de Martissant qui désiraient créer une bibliothèque. Cela nous donna l’idée de lancer le projet d’écrire collectivement une histoire du quartier. Il y avait quelque chose d’éminemment enthousiasmant dans le caractère paradoxal même de ces démarches. Alors que la répression tuait, violait, brûlait tout proche de leurs maisons dans ce quartier laissé-pour-compte, ils voulaient lire, apprendre, discuter. Tout se passait comme si une réponse à mes interrogations m’était donnée là même.
J’ai voulu avoir l’avis d’amis proches, et de ma fille qui étudiait à Paris. Personne ne connaissait l’Open Society Institute (OSI devenu plus tard Open Society Foundations, OSF) de George Soros, mais l’idée de pouvoir « faire quelque chose de sérieux » dans la situation du pays à l’époque, permettait d’espérer. « Pas de diktat me dit le Dr. Daniel Henrys. Si tu es libre de proposer des programmes qui puissent aider les organisations qui en ont besoin, il faut tenter l’expérience. » Les conseils de Monique Calixte, du Frère Franklin Armand, et de Jean Dominique allèrent dans le même sens.
… Par l’engagement
En avril 1995, je donnai mon assentiment et Jean Do me proposa sa maison gingerbread de l’avenue Magny à Port-au-Prince, pour établir les bureaux de cette nouvelle institution. Il lui fallait un nom et celui-ci fut suggéré par Michèle Montas : Fondation Connaissance et Liberté-Fondasyon Konesans ak Libète/FOKAL. Les autorisations formelles me furent accordées et le processus légal entamé grâce à l’appui pro Bono d’un avocat et d’un notaire.
En instituant le premier conseil d’administration de FOKAL, nous prîmes le soin de penser géographie, genre, appartenance sociale, religion, éducation, afin d’avoir une diversité d’expériences et de points de vue.
… Par l’action
Lorraine fut formellement engagée et nous avons tout de suite travaillé, en consultation avec le conseil d’administration, à doter FOKAL d’un cadre conceptuel qui en fixait la finalité, les buts, les objectifs et les activités. Aujourd’hui encore il garde toute sa validité. Forte de mes expériences passées et des siennes, les champs étaient ouverts pour « faire quelque chose de sérieux » pour les organisations, et pour le pays. Open Society Foundations et M. Soros lui-même nous ont laissées au cours de toutes les années qui suivront une totale liberté de penser et d’agir.
Michèle Duvivier Pierre-Louis
5 mars 2025