Anthony Phelps, un adieu par ses mots

"L'année s'achève, de quelle couleur est la saison nouvelle sinon d'espoir..." C’est par ce vers d’Anthony Phelps que nous avons entamé 2025, illustrant ainsi la carte de vœux annuelle de FOKAL.
Anthony Phelps, je l’ai d’abord connu en écoutant « Mon pays que voici » sur un 33 tours : un disque vinyle que les parents écoutaient en sourdine, car à l’époque un poème pouvait emprisonner et faire disparaitre.
Plus tard, j’ai reconnu ses mots dans les montages de textes de troupes théâtrales, à Pyepoudre, à Martissant avec Dram’art. Toute une génération qui se réappropriait ses mots, pour crier l’amour, l’angoisse, le déchirement.
Mais depuis 2013, je l’ai côtoyé presque chaque année, entre février et mars, une pause dans l’hiver Québécois. Cette année-là, dans le cadre de la quinzaine de la Francophonie, FOKAL avait pris une part active à la commémoration du 52e anniversaire d’Haiti Littéraire. Toute une série d’activités étaient prévues. Mireille Pérodin Jerome, de regrettée mémoire, nous a suggéré une affiche promotionnelle figurant les poètes dans la jeep jaune qu’ils utilisaient pour circuler à Port-au-Prince. Avec la complicité d’une collègue, nous avons créé une carte d’invitation imagée qui avait beaucoup amusé Anthony.

Lors de leurs séjours en Haiti, il m’arrivait de visiter Anthony et Helene à Pacot. Et je me mettais à imaginer l’effervescence artistique de tous ces jeunes qui avaient fréquenté la radio Cacique :
« Radio Cacique, 5 rue Bellevue, Pacot. À Port au Prince. En 1961, avec deux beaux-frères, j’ai fondé la Station Radio Cacique, avec l’intention de créer une radio éducative et culturelle. Programmes d’initiation à la musique, émissions pour enfants, théâtre radiophonique, émissions de poésie, etc. Tout naturellement les locaux de la station sont devenus le point de rencontre idéal pour les poètes. »
Imaginer, Emile Ollivier fraichement débarqué des Cayes, découvrant Port-au-Prince émerveillé et répétant la troupe de théâtre Prisme.
« …nous avions notre propre troupe, celle de Prisme, revue sonore de Radio Cacique, composée des comédiens Woolley Henriquez, Émile Ollivier, Ghislaine Mevs, Lucienne Carrié et moi-même. »
Mon imagination faisait défiler poètes et créateur.trices : Marie Chauvet Vieux, Frankétienne « Franck Étienne : jeune poète. À l’époque il n’écrivait pas encore ses nom et prénom en un seul mot : Frankétienne. » Et voilà que si peu de temps après Franck, tu pars en lumière.
Sa conférence : « Haïti Littéraire : Rupture et nouvel espace poétique. Exemplaire fraternité », revue pour FOKAL et dont j’ai tiré ces extraits, témoignait de cet élan créatif, se nourrissant des rencontres avec les ainés, la fréquentation des galeries d’art, des concerts, la création de troupes théâtrales. Cette effervescence des années soixante, rapidement cassée par la dictature, l’exil et la mort, nous est apparue source d’une grande richesse créatrice, emplie d’idéaux et de rêves.
Par la suite, notre relation s’est approfondie par des échanges mail que je recevais avec un immense plaisir. Il me semblait juste de partager ses magnifiques mots en guise d’adieu.
Chère Babette,
Comment allez-vous ? L'automne est à nos portes comme une flaque de rouille, l'automne cette époque indicible où pour chanter son chant du cygne tout l'arbre se fait fleurs...
16 octobre 2017

Chère Elizabeth,
Nous sommes rentrés dans la froidure de l'automne québécois. Nous regrettons de n'avoir pas eu l’occasion de vous revoir. Notre séjour a été compliqué par la pénurie d'essence et les manifestations violentes dans les rues. Malgré tout avons pu avoir les deux projections à l'auditorium de la Fokal. Un grand merci à la Fokal pour ce bel accueil.
C'était émouvant de me retrouver une fois de plus dans ce lieu. Au fil des ans j'y ai accumulé de beaux souvenirs.
Les récitals avec Syto, Pierrot Brisson, Boulo etc... Le lancement du Livre d'Art...
Si j'ai pu venir en Haiti dans ce lieu, en septembre, c'est grâce à Arnold Antonin qui a fait un beau film très inspiré sur moi, sur ma poésie et le pays qui n'a pas perdu sa beauté. J'ai pu lire un choix de poèmes faisant connaitre ma poésie, autre que Mon Pays que voici que je ne renie absolument pas c'est certain. Un film avec l'amitié de Joseph Ferdinand, Suzy Castor, Yanick Lahens, Émilie Prophète et mes vieux complices Syto et Pierrot et la belle voix de narration de Myrtho Casséus.
Nous espérons de tout cœur un miracle pour notre pauvre pays, pour la population haïtienne ait une vie décente.
Merci à la FOKAL pour son excellent travail, afin que notre culture ne meure pas.
Amitiés de nous deux, Anthony
3 octobre 2019

Merci Anthony pour tes mots, ton élégance, ton amour indéfectible pour Haiti. FOKAL se réjouit d’avoir été hôte et témoin de tes dernières productions et d’avoir facilité ton contact avec les poètes, lecteur.trices, écrivain.es et citoyen.nes. Nous en profitons pour présenter nos plus sincères sympathies à sa femme Hélène et ses proches.
Hors du rituel de l’égarement
et proche de mes premières strophes
un renouveau s’annonce.
Bientôt
Je marcherai dans pas sans résonances.
Poète vivant derrière le brouillard
Je rejoindrai mon double
Dans les miroirs
En hautaine dignité de chat mélancolique
Montréal, 2015
Tiré du recueil Je veille incorrigible féticheur
Editions Bruno Doucey, Paris 2016.

Pour en savoir plus sur Anthony Phelps, merci de vous référer à la fiche littéraire d’ile en ile : https://ile-en-ile.org/phelps/, ainsi que le film d’Arnold Antonin : Anthony Phepls à la frontière du texte https://arnold-antonin-films.myshopify.com/products/anthony-phelps-a-la-frontiere-du-texte

Elizabeth Pierre-Louis