In Memoriam – Mireille Pérodin Jérome

340333940 241138208390746 4092136159084704661 nMireille s’en est allée… doucement, dans un silence que seul le langage des yeux tentait parfois de traduire en mots, avant le dernier soupir. Quel contraste entre cette disparition toute de discrétion et l’effervescence médiatique causée par son décès. Les témoignages viennent de partout ; les articles les uns plus élogieux que les autres qui ne cessent de dire les multiples engagements de la grande dame de la culture et de l’art qui nous a laissé.es. Elle semble avoir été connue de tous, de toutes. Que de gens se souviennent l’avoir rencontrée, avoir travaillé avec elle, avoir bénéficié de son savoir, de son expertise, de ses relations, avoir été son élève comme ma fille Babette à qui elle a enseigné l’histoire, la géographie et les sciences sociales et qui se souvient encore du caractère innovant de ses cours. Mireille n’a-t-elle pas été membre de la Confédération Nationale de Enseignants d’Haïti (CNEH), le syndicat de professeur.es le plus prometteur de l’ère post-dictature ?

Mireille et moi, cela remonte à près de quarante ans. Que de souvenirs dans ma mémoire dont il n’est pas facile de faire le tri. Quand Colette, sa sœur, m’a demandé de témoigner cet après-midi, j’ai tout de suite accepté, et puis je me suis demandée par où commencer ? Allais-je revenir sur la période de la fin des années 1980 où avec Jean-René nous avons travaillé des semaines durant à la création du Club Rencontres. Mireille et lui tenaient à fidéliser des jeunes artistes aux Ateliers (toujours au pluriel) pour parler de création, d’art, d’artisanat, de mouvements artistiques d’ici et d’ailleurs, mais aussi pour les initier à  la critique d’art.  Parler pays quoi ! J’ai adoré cette époque où tout semblait possible, où les rencontres aux Ateliers à l’étage de cette maison gingerbread au Champ de Mars aujourd’hui détruite, rassemblaient des artistes, mais aussi des passionnés de l’art et de la culture. Cela m’a aussi mis en mémoire la solidarité des artistes tels que Jean-René, Simil, Sacha Thébaud, Calixte Henry, Claude Dambreville, Préfète Duffault, Dieudonné Cédor, Manno Pierre-Charles, Jacques Gabriel, et tant d’autres avec lesquels nous nous réunissions régulièrement et qui au moment du mouvement de solidarité en faveur de Radio Haïti Inter ont spontanément offert des toiles pour être vendues au profit de sa reconstruction.

Lorsque la mémoire se met en branle elle ne s’arrête pas et va chercher loin les souvenirs. Mais moi je m’arrêterai à quelques-uns avant d’arriver au Centre d’art. Lorsque FOKAL a reçu en cadeau la belle collection de tableaux de l’UNESCO, c’est Mireille qui en a fait l’expertise et c’est elle qui a été commissaire de l’exposition de ces œuvres que nous avions organisée en 2003 dans l’atrium de FOKAL. Et c’est elle encore qui en 2004 fut commissaire de la remarquable exposition des œuvres de l’artiste Killy sur la mémoire de l’esclavage, toujours dans l’Atrium de FOKAL, exposition intitulée Anba lakal. En 2013, une deuxième exposition de Killy, Croix-des-Bossales, toujours en collaboration avec Mireille eut lieu à FOKAL.

Je dois aussi dire que lorsque qu’avec Lorraine j’ai créé FOKAL en 1995, notre première subvention a été accordée à Mireille pour la Fondation Culture Création qui se proposait de publier les travaux de la professeure d’art cubaine Yolanda Wood sur l’art précolombien de la Caraïbe. Et c’est Yolanda qui en 2007 avait invitée Mireille et moi à une conférence sur l’art à Cuba, à la Casa de Las Americas. Excellent souvenir de ces rencontres avec les artistes cubains.

Le temps n’a pas émoussé la clarté des souvenirs. Lorsque le Centre d’art s’écroule le 12 janvier 2010 et qu’Axelle Liautaud cherche par tous les moyens à sauver les milliers d’œuvres et d’archives ensevelis sous les décombres c’est à Lorraine et Mireille qu’elle s’adresse d’abord pour réfléchir aux actions à entreprendre afin de récupérer et sauvegarder le maximum possible. Francine Murat, la directrice infatigable du Centre d’art meurt un mois après le tremblement de terre, il fallait réinventer le Centre d’art.

Et lorsque FOKAL s’implique et que je me retrouve associée à cet effort, l’aventure s’annonce difficile, mais combien exaltante. Mireille est de tous les combats. Son expérience, son entregent, sa connaissance de l’art et des artistes haïtiens ouvrent des perspectives originales. La rencontre fortuite de Lorraine avec Marie-Stephane Maradeix et Philippe-Loïc Jacob de la Fondation Daniel et Nina Carasso va donner un nouvel essor à la dynamique déjà crée. Mireille participe à la vente aux enchères à Paris des œuvres de nos artistes. Elle est l’année d’après co-commissaire avec Régine Cuzin de la grande exposition à Paris au Grand Palais, Haïti Deux siècles de création artistique.

On se rappellera aussi la magnifique exposition qu’elle fit des œuvres de Paskö à la Maison Dufort, et de toutes celles que nous avons eu le bonheur de voir Aux Ateliers Jean-René Jérôme (Pascal Smarth, Zaka, Alain Troché, etc.)

Nous avons fait du chemin depuis, ensemble. Le Centre d’art est redevenu l’espace de création, de rencontres, d’apprentissage, de connaissances, de formation, et de promotion de nouvelles générations d’artistes. La dernière réunion du Conseil d’administration à laquelle Mireille a participé concernait l’évaluation architecturale du nouveau local du Centre d’art. Elle avait récupéré de son opération mais en portait encore les traces. Elle était toute enjouée d’être là avec les autres membres du Conseil ravi.es de la revoir. Nous lui devons beaucoup.

J’évoquerai pour terminer les liens de famille, parce que Mireille était aussi de la famille. Pour Babas, Caro, Alicia et Sybille, je suis Marraine Michèle. Et c’est Marraine Michèle qui en ce jour d’anniversaire de Mireille dit à la famille, aux amis et collègues ici présents de garder en mémoire le souvenir de cette belle personne que fut Mireille.  

Et puis, le rire de Mireille, je crois encore l’entendre.

Merci.

Michèle Duvivier Pierre-Louis

13 avril 2023

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