Discours de Me Jacques LETANG, à l'occasion de la réception du prix franco-allemand pour les droits de l’homme et l’Etat de droit

thumbnail BDHH prix ambassade3Le samedi 22 janvier 2022, Me Jacques Létang a reçu le Prix franco-allemand des droits de l’Homme et de l’État de droit, prestigieux prix décerné chaque année conjointement par l'Allemagne et la France. L’Ambassadeur de France en Haïti, M. Fabrice Mauriès, et l’Ambassadeur d'Allemagne en Haiti, M. Jens Kraus-Massé, ont remis le prix au juriste pour son investissement dans la défense des droits de l’Homme, notamment à travers la promotion de procès emblématiques et la supervision de l’équipe juridique du Bureau des droits de l’Homme en Haïti. Me Letang est l'un des 15 récipiendaires à travers le monde (et le premier Haïtien à le recevoir) du prestigieux prix décerné chaque année par les deux pays réunis.

Nous publions ici le discours qu'il a prononcé à la céremonie de remise du prix, devant un public composé, entre autres personnalités, de la bâtonnière de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, Me. Suzy Legros, de la présidente de FOKAL, Michèle Duvivier Pierre Louis, la sociologue et militante féministe, Danièle Magloire, et la responsable de programme au sein du Réseau national de défense des droits humains (Rnddh), Marie-Rosie Auguste Ducénat.

 " Je ne peux débuter ces quelques mots sans vous remercier, vous, Monsieur l’ambassadeur de France et vous, Monsieur l’ambassadeur d’Allemagne, pour cet honneur que vous me faites ensemble ce soir en me décernant ce prix franco-allemand pour les droits de l’homme et l’Etat de droit.

C’est quelque chose d’être distingué par deux nations qui portent une longue histoire aux côtés des droits humains, faite de combats, d’oppositions, de contradictions, de construction au long cours des bases nécessaires à l’édification d’un Etat de droit.

C’est un honneur de faire partie de cette liste prestigieuse qui rassemble chaque année des acteurs du changement à travers le monde, des personnes qui s’impliquent, à leur mesure, à leur niveau, pour agir en faveur des droits humains, pour le progrès social et le respect de la dignité de chacune, et de chacun.

Vous le savez, ce prix n’est pas le mien.

C’est celui de toute une équipe qui ne cesse année après année de se développer, de se renforcer, d’accompagner, de défendre, de former, de créer, d’essaimer de nouvelles graines d’espoir, malgré toutes les difficultés que nous rencontrons, jour après jour, dans ce pays.

Ce prix, c’est celui du Bureau des Droits Humains en Haïti, une organisation haïtienne que j’ai eu la joie de cofonder durant l’année 2015 et qui ne cesse de grandir, prolongeant et concrétisant nombre de convictions forgées durant mes multiples expériences professionnelles acquises respectivement, en qualité de Magistrat, d’Officier des droits de l’homme de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haiti, de Membre du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, d’avocat, de Bâtonnier, de défenseur des droits humains…

Ce prix, c’est celui de la Fédération des Barreaux d’Haïti, une famille qui m’a accueilli depuis 2010, et au sein de laquelle j’ai eu l’honneur d’être élu tour à tour Conseiller, Vice-président, représentant au CSPJ, Secrétaire général, et, depuis avril 2020, Président.

Ces deux institutions représentent de précieux espaces de rencontres, de projets, de débats, de formations, qui nous offrent l’opportunité de construire des alternatives concrètes et quotidiennes, qui ouvrent des voies vers l’avenir.

Nous avons tant besoin aujourd’hui de nouveaux carrefours !

BDHH prix ambassade4On ne peut s’en cacher, la situation est difficile, très difficile. Elle charrie de plus en plus et tout à la fois déshumanisation et désespérance… Elle frappe, elle tue, elle traumatise, elle fait fuir, elle fait taire. Elle fait perdre le sens de la vie, le sens même, parfois, de la patrie.

Et pourtant, vous êtes là, nous sommes là, réunis ce soir non pas autour de moi mais autour d’une cause, d’une lutte, d’un combat.

Messieurs les ambassadeurs, Je ne peux poursuivre sans adresser mes chaleureux remerciements à vos équipes, qui ne cessent de se tenir à nos côtés, pour écouter, relayer, appuyer nos initiatives.

En préparant ce discours, je tentais de faire le compte de tout ce que nous avons pu réaliser en comptant sur votre appui, renouvelé au fil de ces années par la France et offert par l’Allemagne depuis l’année passée.

Vous nous avez bien sûr appuyé dans nos activités d’assistance légale, avec cette année un focus particulier sur la lutte contre les violences basées sur le genre qui représente, avec la détention arbitraire, une part centrale des activités de notre équipe juridique.

Vous nous avez accompagné dans le développement d’un programme de formations en droits humains, prolongé avec la mise en place d’une plateforme de mise à disposition de contenus juridiques Vous avez appuyé la Fédération des Barreaux d’Haïti dans la construction d’un partenariat avec le Barreau de Paris qui va se concrétiser prochainement avec des sessions de formations continues à Paris. Vous avez écouté et relayé nos plaidoyers, vous m’avez invité à les exprimer devant le Conseil de Sécurité de l’ONU.

Vous nous avez accompagné dans la création d’outils de sensibilisation particulièrement originaux et puissants, et en particulier l’exposition TITANIC, le naufrage de la prison haïtienne ; la pièce de théâtre GOUYAD SENPYE ; les courts métrages de création en marionnettes 407 JOU et TWA FEY ; le kit pédagogique de sensibilisation pour les enfants KAWOL KOWOSOL ; la création audiovisuelle autour de l’œuvre K-LASALINE ; et, tout dernièrement, le film documentaire LUMANITE. La plupart de ces œuvres ont été présentées et discutées en avant-première à l’Institut français et ont circulé dans les alliances à travers le pays.

Votre présence a marqué les éditions du Concours de plaidoirie sur les droits humains, et vous nous avez permis d’encadrer au jour le jour ces jeunes talentueux et engagés dans le cadre du programme de stage professionnel ; de les aider dans l’obtention de bourses ou de visas pour réaliser des études à l’étranger. J’en profite pour saluer Mes Nathan Laguerre et Woodkend Eugène, qui, tout comme moi quelques années plus tôt, ont, après leurs études en Europe, fait le choix de revenir, et de s’investir, ici, à nos côtés.

En un mot, votre appui a été précieux, respectueux, dynamique, et cela mérite d’être souligné. Avec l’ambassade de Suisse qui nous accompagne depuis nos premiers pas, le bilan de vos actions à nos côtés est particulièrement positif.

Mais vous le savez, ce n’est pas assez.

Surtout, cela ne peut combler les échecs flagrants des différentes missions de l’ONU, le caractère trop souvent désincarné des partenariats techniques et financiers ; cela ne peut dissimuler la complaisance du CORP GROUP envers les dérives sans cesse démultipliées du pouvoir ces dernières années.  

C’est bien pour cela que nous sommes là, nous autres, acteurs de la société civile. Pour porter une voix libre, indépendante, critique, constructive. Je ne saurais recevoir ce prix ce soir sans me faire le porte-voix de cette incompréhension face à une volonté, plus ou moins assumée, de nous accompagner jusqu’à l’impasse, sans cesse réinventée.

Il ne s’agit pas tant ici de parler de droit d’ingérence ou de devoir de solidarité, mais de questionner ce positionnement, d’interroger le sous-bassement des décisions qui sont prises pour nous, et non pas par nous ; et qui malheureusement nous éloignent, pas-à-pas, de cet Etat de droit.

Cette voix libre qui nous rassemble ce soir est ce qu’il nous reste de notre démocratie, de notre combat historique pour la liberté. C’est un plaisir pour moi de la partager avec vous toutes et tous, et je voudrais, cher.e.s invité.e.s, à la fois vous saluer et vous remercier, pour le travail que nous menons ensemble et chacun de notre côté depuis toutes ces années.

Je voudrais remercier toutes les institutions, toutes les personnes, qui ont d’une manière ou d’une autre contribué aux initiatives auxquelles j’ai été associé ; saluer les partenaires avec qui le Bureau des Droits Humains en Haïti travaille au quotidien – les organisations KAYFANM, SOFA, TOYA, NEGES MAWON, KOURAJ, RNDDH, JE KLERE, IDH – pour ne citer que celles-là. Je voudrais exprimer toute l’estime que j’éprouve pour la Fondation Connaissance et Liberté, qui nous inspire et nous accompagne depuis toutes ces années.

Je voudrais également honorer le travail de nombreux médias présents ici, qui ont hérité de la précieuse mission de mettre en écho ces voix et de porter les valeurs de la liberté de s’exprimer.

Je souhaite dédier ce prix à ma mère qui a tant fait pour nous ouvrir les chemins de la connaissance et de l’humanité ; à ma famille et ma belle-famille toujours à mes côtés. Permettez-moi d’avoir ce soir une pensée pour ma meilleure moitié, pour mes deux enfants qui remplissent mon cœur d’amour.

Je ne peux conclure enfin sans faire appel à la mémoire de notre défunt Bâtonnier, Maitre Monferrier DORVAL, qui aurait dû se trouver parmi nous, bien vivant, en cette soirée. 

Merci." 

Adresse et contact

FOKAL - OPEN SOCIETY FOUNDATION HAITI
143, Avenue Christophe BP 2720 HT 6112
Port-au-Prince,Haïti | Tel : (509) 2813-1694

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