Décès du peintre de talent : Gérard Fortuné

Gerard Fortune

Le talentueux peintre Gérard Fortuné, plus connu sous le simple prénom de Gérard, est décédé ce lundi 9 décembre, à l’âge de 94 ans*.

Le natif Montagne-Noire, qui peignait jusqu'à 365 tableaux par an pendant des dizaines d'années, était considéré comme le dernier des peintres naïfs. « Il y a désormais un grand vide dans la peinture haïtienne », estime Arnold Antonin, qui l’a connu et immortalisé dans un documentaire.

Le peintre Haïtien est né le 2 juin 1925 à Montagne-Noire, sur les hauteurs de Pétion-Ville. À l’époque du carnaval, Gérard se déguisait, montait et descendait la route escarpée de la Montagne Noire sur des échasses et visitait les arrière-cours du voisinage pour le plaisir des enfants. Il a commencé à peindre et à bricoler avec des matériaux de récupération jusqu’à ce qu’un beau matin à la fin des années 70, il a pris la clef des champs sans crier gare !

Sa rencontre avec Sophie Taubert Gehan, photographe et artiste américaine, épouse du Premier Secrétaire de l’Ambassade de France, à qui il a exposé sa production, était l’occasion pour la première fois dans sa vie de signer ses œuvres « Gérard », d’un graphisme hésitant.

Sa créativité se démultiplie, il peint sur des sacs de riz, fait des châssis avec des branches, récupère toutes sortes d’objets : « layer » (sorte de grand plateau en latanier), lampes qu’il bricole et repeint.

Son talant pousse Sophie à le présenter à plusieurs personnes qui ont de la notoriété dans le milieu artistique : Michel et Toni Monnin, Issa El Saieh, Nader, Judith Chambers, qui deviendront ses nouveaux mentors.

Vers l’orée des années 80, Isaa El Saieh l’a pris sous son aile. Gérard fréquentait les autres artistes qui demeuraient à la « Galerie Isaa » de la rue du Chili, quitte à se laisser influencer par les tableaux d’Hector Hyppolite, d’André Normil, des « Saint-Soleil » et d’André Pierre.

Ses couleurs deviennent plus vives et ses toiles plus grandes. La galerie se trouve juste à côté de l’Hôtel Olofson où un immense tableau de Gérard trône jusqu’à aujourd’hui sur la terrasse ouvragée en bois de ce bel édifice de la période Gingerbread.

Gérard racontait en souriant : « Isaa voulait être mon seul représentant, Nader aussi, Carlos Jarra et d’autres encore… ». Les yeux malicieux, il ajoutait : « je leur ai dit non, moi je peins pour le monde entier » en riant de son cœur. Il prenait son bâton de pèlerin et on pouvait le voir à tout moment parcourant la ville, rouleau de toiles sous le bras, qu’il vendait aussi bien aux galeries qu’aux particuliers.

Gérard rencontrait Selden Rodman qui lui a consacré tout un chapitre dans son livre « Where art is joy ». Ses œuvres ont été produites dans Art and Antiques en 1994 et son portrait d’Artiste a illustré un article du New-Yorker en octobre de cette même année.

Jorgen Leth, cinéaste danois épris d’Haïti, l’inclut dans son film « Dreamers », sur les artistes haïtiens. Ses tableaux font parties des collections du Waterloo Center for the Arts dans l’Iowa, du Huntington Museum of Art en Virginie, du Ramapo College de New-Jersey, ainsi que la Collection du Musée d’Art Patricia & Philip Frost de L’Université Internationale de Floride.

Jean Marie Drot, un autre grand promoteur et amoureux de la peinture haïtienne est touché par le travail de Gérard. Il l’intègre à la magnifique exposition « Art Naïf Art Vaudou » au Grand Palais ainsi que dans l’exposition « La rencontre des deux mondes » qui fit le tour du monde. Gérard figure au panthéon de son Musée dans les Cyclades.

Des journalistes le filmaient et il est devenu un artiste reconnu et prisé sur le marché international de l’art ; mais toujours méconnu en Haïti. En Haïti, enfin, en octobre 2000, le Ministre de la Culture le décore pour sa contribution au rayonnement de la peinture haïtienne. Les journalistes accourent… et il retombe dans les oubliettes de l’Histoire. La Galerie Monnin, qui publie son catalogue en 2014, a toujours continué de défendre le travail de cet artiste atypique depuis les années 80.

Le réalisateur Arnold Antonin lui a consacré un documentaire titré : «  Jambes de bois ou Gérard Fortuné, le dernier des naïfs » en 2015.

gfakgede m« Gérard Fortuné, l’homme qui peignait un nouveau tableau tous les jours, le dernier des grands peintres dits naïfs, n’est plus [...] Gérard était de ces êtres qui donnent l’impression d’être éternels. Non pas à cause de son énergie à ses 84 ans mais parce qu’il a été toujours dans un autre monde, survolant avec légèreté et le sourire toutes les contingences de la vie d’ici-bas. Il a monté à 82 ans ses échasses qui le faisaient appeler Jambes de bois dans son quartier, lors du tournage du film que j’ai réalisé sur lui. Grand peintre et fin cuisinier, Gérard mon ami me manquera. Il y a désormais un grand vide dans la peinture haïtienne » témoigne le réalisateur sur sa page Facebook.

Gérard cultivait son jardin potager où poussaient malangas, patates et pommes de terre. Sa cour de la Montagne Noire est remplie d’avocatiers, d’arbres à pain, de bananiers qui font de l’ombre pour ses poules et ses pigeons… petit coin de campagne entre deux murs de résidences privées de ce quartier huppé de Pétion-Ville. Et, lorsque Gérard prend la rue avec ses tableaux sous le bras, il n’est pas rare qu’il ait dans sa besace fruits et légumes de son jardin qu’il offrira en cadeau à ceux qu’il aime.

Sa force créatrice et son regard affuté se posaient sur tout ce qui l’entourait au propre et figuré, réalité et merveilleux du visible : histoire, contes créoles. Politique, Jésus et les saints catholiques, esprits du vaudou, natures mortes, scènes de la vie quotidienne fleurissaient sous son pinceau au gré des vents musiciens et il les fixait sur la toile avec malice et tendresse.

« Jésus, disait-il, m’a donné ce talent qui me permet de gagner ma vie sans rien demander à personne. L’argent je ne le mange jamais seul, je le partage avec tous mes amis et mes bêtes volages

Gérard était un « personnage » en Haïti, un peintre célèbre. Ses tableaux resteront toujours ceux d’un esprit libre et intemporel. Un homme bon qui garde avec calme et liberté un monde en perpétuelle ébullition.

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Source : Collection "Gérard Fortuné", sous la direction de Gaêl Monnin et Pascale Monnin, Collection Monnin, 2014. La collection a été publiée avec le support, entre autres, de FOKAL. 

Crédit photo : Paolo Woods / Collection Gérard Fortuné

Crédit photo : artshaitian.com

 

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