BITH apporte le théâtre dans la prison civile de Pétionville

Ce n’est pas une séance de Pen International en faveur des écrivains incarcérés. Ni une célébration de la journée mondiale des femmes ou de l’art. En cette journée du 3 septembre, la Brigade d’intervention théâtrale-Haïti (BITH) procède à la restitution du projet « Playback théâtre dans la prison civile des femmes de Pétionville». Une initiative soutenue par la Fondation connaissance et liberté suite à l’appel à projet « Art et culture pour l’engagement social » (http://bit.ly/1DV5jFj) de février 2015. Pendant deux mois, 12 détenues ont suivi des ateliers de théâtre avec l’équipe de BITH constituée de 5 comédiens, 1 écrivain, 2 musiciens et 1 psychologue. 

10h25. Belles, tirées à quatre épingles, maquillées, perchées sur leurs hauts talons… les détenues se préparent comme dans une série de téléréalité. Dans la salle d’attente, une jeune femme dans la vingtaine rentre. L’équipe chuchote : oh, mais qu’est-ce qu’elle est belle ! Elle est suivie d’une femme âgée, celle qui va jouer le rôle d’un juge dans une pièce. Même exclamation de l’équipe.

Un policier venu nous accueillir lance à la jeune femme : « Regarde comme t’es belle. Tu t’es jamais demandée pourquoi tu es là ? ». Elle, pour esquiver la question avant de s’en aller, rétorque : « Mais c’est vous qui me gardez ici. » 

Playback théâtre, un théâtre de thérapie 

Quand on demande à Eliezer Guérismé, le directeur artistique de la compagnie de théâtre, s’il sait pourquoi la jeune femme est emprisonnée, il répondra : « Nous ne fouillons pas trop dans leur vie ici. Mais nous leur demandons lors de nos ateliers, de nous raconter des histoires qui concernent vraiment leur vie. » En effet, il ne s’agit pas d’une mission d’investigation ni d’une plaidoirie. L’approche est tout à fait différente. Ce sont les détenues qui sont invitées à s’exprimer. « Tout ce que nous faisons avec notre équipe, nous les aidons à théâtraliser leurs histoires pour créer un spectacle. Ce qu’elles veulent raconter… ».

Le playback théâtre est une forme de théâtre interactif construit à partir d’une histoire vécue, racontée par quelqu’un dans le public et mise en scène par des comédiens. Dans la prison civile de Pétionville, il s’agit « d’un travail d’initiation au théâtre par cette technique ». 

« Nous voulons apporter le théâtre et l’art en général dans les lieux d’enfermement comme les centres psychiatriques, les prisons, les asiles. C’est pourquoi nous avons répondu à l’appel à projet de FOKAL. Il n’existe presque pas d’activités psychosociales du genre dans ces lieux. Ici, nous faisons du  playback théâtre…» explique Eliezer pour justifier la présence de BITH dans la prison ce 3 septembre. 

Les différents ateliers étaient construits autour de plusieurs points : des exercices de concentration, de relaxation, de projection de la voix, des techniques de création de personnage comme celle de construction du personnage proposé par Stanislavski et des techniques de théâtre d’improvisation. 

Des détenues impliquées et motivées 

10h50.- A l’étage de la prison, nous entrons dans une salle longue d’environ 15 mètres. Deux policières montent la garde. L’équipe de BITH réorganise la disposition des chaises - les bancs et les tables ont déjà été arrangés par les détenues. Ils refont le décor : « les accusées seront ici », « le greffier là-bas », « l’avocate et le juge de ce côté »… ils n’auront qu’une heure pour cette dernière intervention dans la prison. 

11h. Une policière demande en sourdine : « Vous avez laissé vos téléphones dans la salle d’attente ? » Oui, répond Sylliola Gyna, une des musiciennes de la BITH. Une autre policière repose la même question à voix haute, quelques secondes plus tard. Oui, répondons-nous.

Ici, les règles sont claires : pas de caméra ni de téléphone. (C’est pourquoi aucune image et aucun nom de prisonnière n’apparaissent dans cet article). Avec des chuchotements, des salutations cordiales, une cinquantaine de détenues, le sourire aux lèvres, invitées à assister aux représentations théâtrales, s’installent. Comme les douze qui ont participé aux ateliers, elles sont toutes élégantes. 

« Il y en a qui sont en attente de jugement, il y a des condamnées à vie », nous dit une travailleuse sociale de la prison (qui ne veut pas que l’on cite son nom). Elle témoigne de l’importance du travail accompli et de l’appréciation des prisonnières : « Elles ont toutes aimé le projet. Elles ont compris que le théâtre, c’est plus que des gestes, c’est un tout avec de la diction, de la réflexion sur une situation… Moi, personnellement, je trouve que c’est trop court. » 

11h25. L’inspecteur de la prison introduit le spectacle et renouvelle son engagement de soutenir la poursuite de cette initiative en faveur des prisonnières. « Malheureusement, trop souvent, on pense qu’en prison, il n’y a aucune vie. Je me réjouis de voir ce groupe venir ici et de vous permettre d’exprimer vos talents. Je leur promets mon soutien auprès de la Direction de l’administration pénitentiaire pour obtenir une nouvelle autorisation d’avoir accès à la prison », dit-il, sous les applaudissements de l’assistance. 

Faire la mise en scène de leur angoisse

11h30. Roulement de tambour : Gyna Sylliona et Lourna Saint Gilles, les deux tambourineuses, lancent la représentation. Eliezer, Sachernka Anacassis, une des deux animatrices et Chelson Ermoza, l’assistant directeur artistique, débutent une séance d’animation avec un chant atypique : « Tèt mayi moulen, jan w bon ak zaboka, yo pale mal a ou. Kou diri a sou dife, yo pale mal a ou. » Pendant ce temps, Jenny Cadet et Stéphanie Qouichil assistent les actrices pour leur montée en scène. Suivra une intervention de Chelson Ermoza qui, en bon conteur, entrainera l’assistance dans l’imaginaire du temps de ses grands-grands-grands-parents, l’époque où les humains pouvaient s’adresser à Dieu en personne. La magie de conter et le plaisir d’écouter s’entremêlent. 

S’ensuit une première pièce sans parole : deux jeunes femmes montent sur scène et posent pour le public, éloignées l’une de l’autre. Deux autres femmes rentrent, sont étonnées de se voir puis s’embrassent. Le public est invité à réagir à cette pièce d’une minute. Certaines crient qu’il s’agit d’un défilé. D’autres, d’une rencontre entre deux personnes. Et enfin, une autre lance qu’il s’agit d’une retrouvaille après une séparation. En effet, cette pièce avait été proposée par une des participantes du projet, qui voulait évoquer la séparation de proches due à la prison et la joie de se retrouver après la libération. 

Le clou du spectacle est une assise dans un tribunal : le jugement de trois affaires criminelles où l’on voit le juge corrompu libérer plusieurs accusées à coup de milliers de dollars américains, de donation de plusieurs hectares de terre et de faveurs sexuelles. Cette pièce se termine par une plaidoirie en faveur de la justice : « Justice pour la justice ! Quand on voit la justice de chez nous, on se demande si aucune alarme ne s’enclenche dans le cœur des magistrats ! On se demande si les juges fonctionnent avec leurs propres lois ou celles de la constitution ! »

12h20.- La prisonnière jouant le rôle du juge indexe la détention préventive prolongée, l’impunité, la corruption, la faiblesse des institutions étatiques, la mollesse des autorités et toute la batterie de maux qui l’accablent. Son plaidoyer est suivi de chants plaintifs du répertoire vodou. 

Elles en redemandent

Les acteurs remercient le public. Un succès. En témoignent les applaudissements et les chuchotis, les fous rires intempestifs, les moqueries lancées au beau milieu d’une phrase, les ahurissements. La joie se lit sur tous les visages : policiers haïtiens et étrangers, prisonnières, animatrices. Même les actrices ne sont pas épargnées. 

Celle qui a joué le rôle du juge souhaite « que l’équipe ait plus de temps pour nous préparer à préparer les autres. » Une autre prisonnière interrogée se plaint du « temps trop court ». Les réactions sont unanimes. Celle qui a coordonné l’équipe exprime le souhait de « les voir revenir parce que nous avons beaucoup aimé. C’est important pour nous de croire en nos capacités. » 

12h36. Dans la salle d’attente où nous récupérons nos sacs et téléphones, l’un des travailleurs sociaux lance à l’équipe visiblement satisfaite du travail accompli : « Je vous félicite car dans un temps très court vous avez fait beaucoup de choses pour ces dames. » 

Les membres de la BITH se séparent, avec le sentiment d’avoir apporté l’art, la création, la créativité à celles qui n’y avaient pas accès. Pas pour longtemps, certes, mais en offrant aux détenues et au personnel de la prison une occasion sans prix de libérer la parole, de se faire entendre, de partir vers l’imaginaire, hors des petites cellules. Les prisonnières ont parlé devant les autorités de la prison de leurs émotions et de leur lecture du système judiciaire haïtien : sans crainte et sans protestation… 

La BITH 

La Brigade d’intervention Théâtrale – Haïti - est une compagnie de théâtre de rue qui a vu le jour en 2011, suite à une formation avec Jacques Livchine et Hervée de Lafond du théâtre de l’Unité dans le cadre du festival de théâtre Quatre Chemins. Elle a fait beaucoup parler d’elle récemment sur les réseaux sociaux et dans les médias haïtiens suite à  la représentation de sa pièce Le mariage (http://bit.ly/1Mc81fs)  sur la Place Boyer à Pétionville.

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