Le mercredi 25 octobre 2023, Jean-Marry Exantus défendait sa thèse de doctorat à l’Université des Antilles en Guadeloupe, sous le titre : Contribution à l'étude de l'avifaune de la République d'Haïti en milieux urbain et naturel. Un travail considérable de recherches et d’activités de terrain qui a reçu un avis favorable de professeurs d’université ayant de sérieuses compétences dans le domaine, qui se sont prononcé à l’avance sur la pertinence scientifique de la thèse.

C’est avec un sentiment de fierté que j’ai accepté de me joindre au jury en qualité de membre invitée, jury constitué de personnalités de haute facture scientifique et académique dans un champ universitaire qui n’est pas le mien. Mais ce sentiment de fierté vient aussi du fait que j’ai pu mesurer le chemin parcouru depuis l’époque où, il y a déjà quelques années, fraichement émoulu de ses études en agronomie en Haïti, Jean-Marry manifestait déjà un intérêt têtu pour l’étude de l’avifaune. Nous l’avions accueilli au Parc National Urbain de Martissant dont FOKAL avait la gestion, dans ce bel espace où, jour et nuit il s’est attelé à observer et photographier les oiseaux en créant un quasi observatoire ornithologique qui lui a permis de recueillir des données précises sur la faune aviaire du parc. Je l’ai revu à plusieurs reprises par la suite, alors qu’il faisait ses recherches sur le Merle de la Selle et tenait à nous en montrer quelques résultats déjà obtenus. Quel chemin parcouru depuis lors, malgré toutes sortes de difficultés y compris des problèmes graves de santé ! La passion, la ténacité et une volonté d’aller au bout de ses recherches étaient déjà présentes, il ne s’en est jamais départi, la soutenance de cette thèse en est bien la preuve.

J’ai lu la thèse de Jean-Marry avec beaucoup d’intérêt et de plaisir et ai pu en juger de la cohérence et de la pertinence. J’enseigne l’histoire de la Caraïbe à l’université en Haïti et ai été ravie d’apprendre sur cette Caraïbe insulaire un ensemble de données relatives à la richesse de la biodiversité de cette région du monde. Et en même temps, de l’ensemble de menaces qui pèsent sur la faune et la flore en général. Le cas d’Haïti étant emblématique de la fragmentation et de la dégradation des écosystèmes naturels.

Les effets de la pression démographique sur des ressources qui s’amenuisent figurent parmi les constats souvent signalés. Dans le cas d’Haïti, la déforestation, après le déboisement causé par la demande de bois précieux par les puissances coloniales, serait due aujourd’hui, en milieu urbain comme en milieu rural, à la situation de précarité d’une population en augmentation qui n’a d’autre choix que de détruire l’habitat naturel de l’avifaune et des autres espèces pour survivre, en cultivant ou en habitant les parcelles de terre ainsi déboisées. Les pressions anthropiques pour l’extension agricole, l’élevage ou l’habitat constituant des facteurs constant de la dégradation de l’environnement. Les processus d’urbanisation, routes, îlots d’habitats sauvages, et autres infrastructures urbaines modifient et perturbent les écosystèmes, les microclimats et les réseaux.

Les objectifs de la thèse tels qu’énoncés visaient à passer en revue les résultats obtenus sur l’étude de l’avifaune dans trois aires protégées en milieu urbain dans une perspective toute nouvelle d’écologie urbaine: le Parc naturel urbain de Martissant, le Parc naturel urbain du Canapé vert et le Parc national naturel de Sourçailles à l’intérieur duquel se situe la Réserve écologique Wynne Farm.  A cela s’ajoutent des travaux de conservation conduits en milieu naturel dans l’aire protégée du Parc Naturel La Visite du Massif de la Selle. Dans cet espace la concentration s’est faite sur le Merle de la Selle considéré comme espèce vulnérable. L’étude a porté sur la taxonomie, la description, l’aire de répartition, et la biologie de l’espèce.

Cette thèse en plus du caractère scientifique indiscutable de la recherche et des résultats, présente un certain nombre de problèmes structurels et conjoncturels qui demeurent liés à la problématique de l’avifaune tant en milieu urbain que rural. Et ces problèmes concernent tout un ensemble de domaines de connaissance interdisciplinaires : économie, démographie, géographie, urbanisme, ingénierie, anthropologie, climatologie, santé, sociologie, disciplines qui relèvent toutes de l’écologie urbaine, avec des extensions dans le monde rural.

Il y aurait beaucoup à dire sur les travaux et les publications scientifiques qui étayent les activités de recherche conduites par Jean-Marry. Maintenant qu’il a acquis ce niveau de connaissances dans son domaine d’expertise et qu’il tient à les mettre en pratique dans son pays, il n’est pas inutile de mettre en évidence l’une de ses recommandations. Après avoir fait le constat que d’une manière générale, les bailleurs de fonds ne semblent pas prendre en compte la nature et la gravité des vrais problèmes posés par la dégradation de l’environnement, Jean-Marry conclut ainsi :

« Nous conseillons vivement aux agences de financement internationales de fournir des ressources financières pour la mise en œuvre d'un nouveau programme de conservation plus approprié qui devrait inclure l'emploi massif de la population locale avec des salaires décents pour travailler sur des programmes de reforestation et aider les scientifiques locaux à surveiller la faune, à condition qu'ils abandonnent leurs activités agricoles. Il devrait également inclure le développement d'un programme éducatif ambitieux pour les enfants de la région. Des étudiants haïtiens ayant une formation de base en biologie de la conservation pourraient être recrutés pour contribuer à la fois à la recherche et au suivi de la faune et à l'éducation des enfants.

Nous considérons ce programme comme la seule solution valable pour sauver l'une des dernières forêts naturelles d'Haïti et une grande partie de son patrimoine naturel. »

Jean-Marry fait partie d’une cohorte de jeunes haïtiens ayant déjà obtenu un diplôme universitaire au niveau de la License, recrutés par Caribaea Initiative, une ONG française créée par le Professeur Frank Cezilly dans le but de leur permettre d’atteindre le plus haut niveau scientifique possible dans le domaine de la biodiversité et de la protection de l’environnement, et d’encadrer leur cheminement. L’objectif est qu’Haïti puisse développer sa propre expertise hautement qualifiée, et qu’elle n’ait pas toujours à faire appel à des experts internationaux. FOKAL est partenaire de Caribaea Initiative dans cette démarche, et c’est l’occasion pour nous de remercier Frank Cezilly.

Après délibération et à l’unanimité, le jury a prononcé l’admission de Monsieur Jean-Marry Exantus au grade de Docteur de l’Université des Antilles, en Physiologie et biologie des organismes - Populations - Interactions.

Michèle Duvivier Pierre-Louis

Présidente de FOKAL