Retour sur les causeries du FPEH : Ayiti Islam avec Paulson Difficile et Marie-Tama Lémy

 

FOKAL Expo Nawe n Maison Dufort VAB 0050 VBaeriswyl WEB 035L’exposition collective NAWÈ N qui s’est déroulée du 1er au 18 décembre à la maison Dufort dans le cadre du Fonds pour la photographie émergente en Haïti (FPEH) a également accueilli des causeries autour des travaux des photographes lauréats du Fonds. Tout au long du mois de janvier, nous vous proposons de vous replonger dans ces travaux avec les photographes et les intervenants qui les accompagnaient à travers ces éditions des conversations qui se sont tenues le 18 décembre 2021 à la maison Dufort. Troisième volet de cette mini-série avec une conversation autour du projet « Ayiti Islam » en compagnie de son instigateur, le photographe Paulson Difficile et l’ethnologue Marie Tama Lémy, dont le mémoire portait sur l’Islam en Haïti (*).

Paulson NAWEN ISLAMMaude Malengrez / FOKAL : Dans le cadre du Fonds pour la photographie émergente en Haïti, qui veut contribuer à soutenir la production de projets photographiques ambitieux, est souvent posée la question du lien entre la recherche et la photographie, et comment l’une et l’autre se nourrissent. Dans son travail photographique sur l’Islam en Haïti, Paulson Difficile voulait s’écarter de la façon dont l’Islam est traité dans la presse nationale et internationale, en menant des recherches et en adoptant une position d’observation, alors que Marie Tama Lémy a réalisé une recherche académique sur la question. Paulson Difficile : d’où est parti l’intérêt pour l’Islam et quelles ont été les premières découvertes lors de la réalisation de ce travail ?

Paulson Difficile : On va dire qu’auparavant j'étais hésitant à m'approcher des fidèles musulmans. Un jour que je sortais de l’Institut Français, un camarade m'a poussé vers eux en me disant que je devrais m’y intéresser. Depuis lors, l'aventure avait commencé et il faut dire que la découverte a été vite intéressante. La première chose qu'il faut noter c'est que les Haïtiens ne sont pas très informés, en général, sur ce qu’est la religion musulmane et que contrairement au stigma qui peut exister ailleurs dans le monde envers la religion musulmane, les Haïtiens découvrent une religion accueillante où ils s'expriment assez librement et se sentent à l'aise. Il y a une certaine facilité pour devenir musulman en Haïti : on n’a pas à suivre tout le rituel qui s'impose dans les religions de la place, mais tout simplement à réciter une prière. Cela enchante et intrigue beaucoup de monde. La deuxième chose qu'il faut noter c'est la situation particulière qui a suivit le cataclysme de janvier 2010 : la population était dans une situation très fragile économiquement et les musulmans étaient là pour les recevoir, les accueillir, leur donner un toit. Aussi, les Haïtiens trouvent que la religion est saine, que les musulmans accordent une grande importance à la propreté, à l'hygiène. Dans beaucoup des témoignages que j’ai recueillis, les gens disent ne pas avoir hésité à laisser leur religion d'avant pour se tourner vers l'Islam, aussi parce que l'école est pratiquement gratuite, qu’ils y trouvent à manger de la viande, etc. Une autre chose qui m’a surpris, c’est la façon pour eux d’observer les principes de l’Islam, qui peut dénoter d’une certaine méconnaissance de l’Islam. Par exemple, vous pouvez voir des enfants en bas âge qui ne sont pas encore adolescentes, mais qui portent le hijab (le voile) alors que ce n'est pas ce qui est prescrit dans le Coran. Mais l’important pour eux semble être d’afficher le plus de signes visibles de leur pratique de cette religion, comme le voile pour les filles ou le kufi pour les garçons, pour se distinguer.

Paulson NAWE N IslamMM / FOKAL : Dans les chiffres présents dans vos recherches à chacun, on découvre qu’à un moment le ministère des cultes a recensé entre 2,000 et 10,000 pratiquants, 36 mosquées à travers le pays. Derrière ces chiffres, y a-t-il une diversité dans la façon dont l’Islam se pratique dans le pays ?

PD : Pour essayer de souligner cette diversité, il est intéressant de parler des canaux de l'intégration de l'islam en Haïti. Il y a des Haïtiens qui se sont convertis à l’Islam à l’étranger, d’autres au contact de soldats de différents contingents des Nations Unies, d’autres encore se sont enorgueillis de s’être convertis suite au 11 septembre 2001, alors que beaucoup de conversions se sont déroulées suite au séisme de 2010. Il y avait alors plusieurs organisations musulmanes de différentes régions du monde qui étaient sur le terrain, avec leur propres pratiques et courants de l’Islam. Tout ceci n’empêche pas les musulmans haïtiens de faire front commun. On retrouve les deux grands courants chiite et sunnite, avec des variations dans la façon de prier, mais ces différents courants peuvent se retrouver à prier dans un même espace. Il y a aussi un courant notable en Haïti qui essaye de retourner aux sources africaines, et de voir l'islam comme une religion de nos ancêtres, liée au vaudou. Ils appartiennent à un courant plus proche du soufisme et sont moins nombreux.

MM / FOKAL : On peut d’ailleurs entendre certains de leurs rituels dans les sons présents dans l’exposition, où récitations coraniques et aux tambours haïtiens s’entremêlent dans une forme de syncrétisme. Marie Tama Lémy, vous avez d’ailleurs travaillé sur ce courant particulier à Haïti, pouvez-vous nous en parler ?

Paulson NAWEN Marie Tama Lémy : Je me suis intéressée plus particulièrement à la mosquée Allahou Akbar de Carrefour Feuilles. J’ai réalisé ce travail il y a maintenant quatre ans et nous étions un groupe à la faculté d’ethnologie qui travaillait sur les minorités religieuses en Haïti. L'islam au niveau mondial occupe la deuxième place parmi les grandes religions en terme de pratiquants, mais en Haïti c'est toujours considéré comme une minorité religieuse. Il faut dire que les statistiques ne rendent pas justice à l'expansion de l'islam dans le pays, parce qu’on a des enquêtes qui ont été effectuées sur la religion depuis 2003 et mises à jour en 2015 mais qui reprennent toujours les mêmes chiffres. On ne comptait jusque là que des mémoires en théologie sur le sujet réalisés par Albertus Fucien à l’Université chrétienne du Nord d’Haïti et ensuite à l’université de Strasbourg en France, quelques articles polémiques dans la presse autour de la place qu'il faut accorder à l'islam et celle qu’il aurait occupé à côté du vaudou dans les luttes pour l'indépendance d’Haïti, ce qui est peu pour un phénomène si intéressant.

Les manifestations concrètes de l’Islam en Haïti remontent à 1986, cependant pour les certains musulmans en Haïti c’est une période qui marque le retour de l’Islam dans le pays car pour eux c'est un héritage des Africains esclavagisés qu'on a amené à Saint-Domingue. Dans le cadre de mon cours d’anthropo-sociologie des religions, je suis allée visiter la mosquée de Carrefour feuilles avec mon professeur. C'est là que l'Imam responsable de la mosquée nous disait qu’on ne les considérait pas toujours comme des musulmans parce qu’ils pratiquent un islam fort différent. Lorsque j'avais à préparer mon mémoire, je suis retournée dans cette mosquée pour voir exactement en quoi consistait cet islam qu'il professait et auquel on ne voulait pas attribuer ce caractère musulman. Avant de m’approcher d’eux, j'ai mené une petite enquête auprès d'autres musulmans qui me disaient effectivement qu’ils ne sont pas musulmans bien qu’ils se disent soufi (adepte du soufisme, une démarche spirituelle au sein de l’Islam considérée comme ésotérique). Eux revendiquent le fait qu’ils sont des musulmans haïtiens, qu’ils pratiquent l’Islam dans un environnement culturel particulier qui doit se refléter dans la religion. Pour eux, un musulman ici, c'est quelqu'un qui a un passé, des traditions, des valeurs enracinées ici. Leur façon de s'organiser repose sur une forme traditionnelle haïtienne, le lakou, dans laquelle il y a toujours des lwa. Pour eux, le lakou est l’endroit où l’Haïtien, musulman ou pas, doit évoluer, car chaque Haïtien est appelé à un devenir spirituel lié aux lwa. Leur mode de vie est communautaire à l'intérieur du lakou au sein duquel ils ne servent pas les lwa comme dans le vaudou, mais où ils leur permettent de se manifester comme des attributs d’Allah, ainsi que comme des qualités qu'il faut manifester de son vivant car le lakou est un pont entre l’ici et nan ginen. Lorsqu’on meurt, on va nan ginen, et pour y arriver et devenir un lwa, il faut vivre dans le lakou, y manifester les énergies des ancêtres qui reviennent pour se manifester à travers les vivants en attendant qu’eux aussi deviennent des lwa. Mais c'est beaucoup plus que cela parce qu’on ne peut pas dire tout simplement que ce sont des pratiques vaudou qui viennent se greffer sur des pratiques musulmanes. Il y a aussi d'autres pratiques que l'on retrouve dans d'autres religions par exemple dans le christianisme que l'on retrouve chez ces croyants également. Pour moi c'est beaucoup plus profond qu’une addition de pratiques.

Paulson Islam nawe nMM / FOKAL : Face à toutes les recherches académiques que vous avez réalisées, quel est le regard que vous portez sur le travail réalisé par Paulson Difficile ? Comment la photographie vient-elle elle aussi ajouter de l’information, de la pensée ?

MTL : Paulson m'a emmené visiter son exposition et j’ai trouvé ce travail fabuleux. Mais je voudrais dire avant tout qu’il y a une différence pour moi sur le terrain : c'est beaucoup plus facile pour lui en tant qu’homme de faire une recherche sur l'Islam en Haïti. En tant que femme non croyante, c’est très difficile pour moi d’approcher ce type de communauté dans tous les coins du pays. Cela m’a été plus facile au centre spirituel Allahou Akbar parce qu’ils sont très ouverts d'esprit et ils m'ont permis de les observer. J’ai travaillé uniquement à Port-au-Prince, mais avec le travail de Paulson j'ai pu voir l’étendue du phénomène. C’est vrai que j'ai pu lire des articles dans les journaux sur l'islam en Haïti mais le travail de Paulson m'a permis de voir comment l'islam s’étend vraiment en Haïti. Ce travail est colossal.

MM / FOKAL : Marie Tama Lémy a parlé de la difficulté de réaliser les recherches en tant que femme, Paulson Difficile, quelles ont été les challenges rencontrés sur le terrain en tant que photographe ? Qu’est-ce que cela dit de la façon dont les musulmans veulent être vus ou perçus ?

Paulson Difficile : Les débuts ont été très difficiles. Premièrement quand vous vous approchez de pratiquants musulmans haïtiens, ils vous considèrent d'emblée comme un espion, un agent secret, ils sont extrêmement méfiants. J'ai ainsi passé plus de temps à les côtoyer qu’à les photographier et mes sorties ne débouchaient pas toujours sur des photos. A force de les fréquenter, de leur montrer les quelques photos à la va-vite, ils ont compris que je ne faisais pas d’images pour les trahir par la suite. Quand on arrive et demande à voir un responsable, cela crée de la méfiance. Et une fois qu’on a rencontré un responsable, on affronte quand même d’autres personnes qui se disent responsables et te défendent de prendre des images, menacent de te prendre la caméra. C’est à Port-au-Prince que cela a été le plus difficile, parfois on donnait l’accès à un journaliste étranger et pas à moi. Arrivé en province, puisque ce sont les responsables de Port-au-Prince qui vont dans les provinces, s’ils m’avaient déjà accordé l’accès, c’était plus facile. J'ai passé des semaines voire des mois, lorsque je n’étais pas pris par mon travail, à les fréquenter. C'est eux-mêmes qui m'invitent parfois pour des événements particuliers. Je me souviens avoir photographié des funérailles musulmanes qui avaient commencé à Port-au-Prince et s’étaient terminées à Léogâne. Mais au moment de photographier la mise en terre, qui est particulière par rapport à nos habitudes, je me suis rétracté car j’ai compris que j’aurais pu y laisser la peau car ce groupe-là était très agressif. Mais pour résumer, la fin n'a pas été comme le début et il y en a avec qui j'ai gardé le contact et qui sont d’ailleurs là aujourd’hui.

 

(*) Marie Tama Lémy, L’islam en Haïti, Le soufisme au Centre Spirituel Allahou-Akbar à Carrefour-Feuilles : image d’un islam créole entre le religieux et le spirituel, Mémoire de licence ès sciences Anthropologiques et Sociologiques Sous la direction du Professeur Lewis Ampidu CLORMÉUS, Promotion : 2012-2016.

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